mardi 11 décembre 2018

L'erreur de Macron

Certains voient dans les réactions politiques aux annonces du président Macron une querelle indigne et récupératrice. Sauf à considérer le mouvement des gilets jaunes pour ce qu'il n'est pas, c'est à dire une forme de mobilisation classique contre un texte de loi catégoriel qu'il suffirait de suspendre, puis de retirer, en attendant l'éventuelle démission du ministre en cause, c'est une erreur que de dévaloriser ainsi la parole politique.

Je ne souhaite pas pour ma part un acte V à la mobilisation. Force est de constater cependant que le véritable projet contre lequel manifeste le pays, c'est celui du projet de loi de finance en ce qu'il résume l'orientation générale de la politique menée.

C'est pourquoi les annonces faites aujourd'hui, si elles sont un amendement au projet de budget en ce qu'elles réforment à la marge la ventilation des dépenses et recettes du budget de l'Etat, elles n'en modifient pas la philosophie. On habille Pierre et on déshabille Paul. On en appelle à l'intérêt bien compris des employeurs afin qu'ils contribuent à la paix sociale par la distribution de quelques étrennes de fin d'année. L'enjeu structurel est évacué et, avec lui, celui de la justice redistributive.

Les symboles de la victoire ont toujours été indispensables aux luttes sociales. Ne faudrait-il pas se résoudre, en pareille circonstance, à surprendre plus franchement sachant qu'il ne s'agit d'ailleurs pas qu'une affaire de bouc émissaire. Seule la démission du gouvernement, accompagnée d'un nouveau discours de politique générale remettant à plat les arbitrages, et à zéro les compteurs, aurait permis de donner une chance à ce quinquennat pour résister au populisme qui gagne aujourd'hui sur le terreau de l'injustice. L'ordre social est en jeu. Il ne faut pas s'étonner que l'ordre public vacille.  Ce qui est proposé aujourd'hui n'est pas une sortie par le haut mais un vasistas escomptant l'essoufflement de tous et la radicalité de quelques uns. Et après, que va-t-il advenir de la confiance populaire pour les deux ans de mandat à venir. Bon courage pour les prochaines tentatives de réformes...

E. Macron nous a permis d'éviter le Front National en 2017 mais ce n'était pas pour qu'il devienne l'accélérateur des particules élémentaires qui irriguent désormais le populisme. Toute mobilisation sociale ne produit pas, par essence, une conscience sociale collective, ni même une  lucidité politique avérée sur les objectifs. L'histoire nous apprend que la révolte n’est pas mécaniquement révolutionnaire. Pour reprendre l'expression de JL Mélenchon, la promesse du "bruit et de la fureur" ne garantit rien si ce n'est parfois le pire. 

Derrière les gilets jaunes (cessons d'y mettre des majuscules), ce sont tout simplement les conditions de vie dont il est question. Parce que l'expression formalisée de ce cri est celle du pouvoir d'achat, les conditions de l'homogénéité du rapport de force s'en sont trouvées objectivement et médiatiquement constituées. Elles masquent les contradictions sociales qui le parcourent tout en offrant ce que cherche le courant populiste, casser la conscience de classe au profit d'une nouvelle construction, le peuple comme nouvel objet social.

Sophocle prophétisait que du désordre naissaient souvent les tyrannies et nous pouvons aisément souligner avec Jaurès que "l'action légale est plus puissante que l'action convulsive". Mais nous devons toutefois rajouter avec lui que "nous ne pouvons être dupes de l'hypocrisie sociale des classes dirigeantes". Cette hypocrisie, que dénonçait Jaurès répondant à Clémenceau en 1906, est devenue aujourd'hui le premier ferment du conflit actuel et de l'expression atomisée du corps social dont les gilets jaunes sont en définitive l'expression.

Emmanuel Macron vient de rater l'occasion de renouer avec ses intentions "révolutionnaires" de la Présidentielle. La conquête du pouvoir est une chose. Son exercice en est une autre. Il paye aujourd'hui le prix de sa volonté de disqualifier les formes démocratiques organisées, de leur légitimité à porter une parole alternative au prétexte d'un ancien monde fossilisé et dont l'expression électorale fut satellisée. Le face à face actuel du Président, sur les ruines des anciennes régulations collectives et de l'assèchement du grain à moudre, était inévitable. Et ce n'est pas un hasard si les élus locaux apparaissent désormais tels les derniers recours de l'expression organisée et démocratique de l'intérêt collectif.

Loin de me féliciter de tout cela, je me garderais bien d'annoncer table rase de ce qui fut, de ce qui a structuré le champ politique et social du pays et qui demeure inscrit dans les gènes de son inconscient collectif. "Cours camarade, le vieux monde est bien derrière toi" car il en a effectivement après toi. Et si ce vieux monde porte sa part de responsabilité, seule l'histoire longue, comme toujours, permettra véritablement de trancher la question. Après tout, ce vieux monde, c'est aussi celui de Jaurès.