mardi 28 octobre 2014

"Ma social démocratie" (15 novembre 1999)

Voilà 15 ans, le 19 novembre 1999, Lionel Jospin publiait une longue tribune intitulée "ma social-démocratie". La période actuelle, propice à certaines relectures, offre à ce texte une résonnance particulière.
Certains disqualifieront par avance le propos, érigeant l'humiliation du 21 avril 2002 comme la preuve de l'obsolescence de ce dernier. D'autres, en revanche, pourront y déceler une confondante actualité. Je me rangerais plutôt de cet avis. 

"Aujourd'hui, ce sont nos valeurs qui fondent notre identité politique plus que les moyens nécessaires pour les atteindre." Ces mots de l'ancien premier ministre sont illustratifs  de la période.
Les moyens de l'action gouvernementale remettent-ils en cause notre identité devant le risque de ne pas redistribuer 1% de PIB supplémentaire ? 
Je ne serais pas catégorique pour affirmer urbi et orbi qu'il s'agit là de la frontière qui sépare la croissance de la stagnation, ni pour prétendre qu'elle puisse fonder matière propulsive à grande controverse idéologique.
Les moyens de l'action gouvernementale remettent-ils en cause notre identité au point de conclure au nécessaire changement de nom du Parti Socialiste ? Une réponse positive marquerait sans nul doute l'impensable bénéfice immédiat qu'en tirerait la gauche de Mélenchon, si prompte à sonner l'oraison de la social-démocratie après en avoir fait l'adversaire à abattre, ainsi que le centre de Bayrou qui n'est "ni de gauche, ni de gauche" comme le remarquait F. Mitterrand. 
"En dernière instance", comme diraient les disséqueurs de la dialectique d'antan, "quelle alliance objective" !

Plus sérieusement, "s'interroger sur «la bonne voie», choisir entre «la voie blairienne» et «la voie schröderienne», ne me paraît pas avoir grand sens (...) s'il s'agit de l'intercaler entre la social-démocratie et le libéralisme (...)." Lionel Jospin a raison. 

Mais il a aussi raison plus loin : "On décrit traditionnellement les sociaux-démocrates comme des redistributeurs. Nous restons attachés aux principes de l'Etat-providence, même si, là aussi, des réformes sont nécessaires (...) Mais cet attachement à la redistribution n'est pas exclusif

jeudi 16 octobre 2014

Aeroport de Blagnac, Annexe 1, page 13

Extrait : "Alertés par Airbus sur l'absence de réponse à ses questions, nous avons (...) fait part de nos interrogations et de notre surprise quant au silence de l’Agence des participations de l’Etat (...) et rappelé notre position commune à savoir que le processus en cours devra nécessairement prendre en compte les spécificités économiques du territoire que nous représentons, à commencer par les activités économiques déjà présentes sur le site de l’aéroport dont les perspectives de développement devront être garanties." 

C'est en ces mots qu'à juste titre les trois présidents de collectivités locales se sont émus du processus d'ouverture du capital de l'aéroport de Blagnac dont ces dernières sont actionnaires, sans pour autant demander à le voir déclaré sans suite.

Or, sur la base du cahier des charges de l'appel d'offre, arrêtons-nous sur les objectifs et critères préfigurant le choix final.
"L'Etat privilégiera les solutions permettant de conforter la logique territoriale d’implantation de la Société via le dialogue, la concertation et les  coopérations  avec  les  collectivités  locales  et  acteurs  économiques  locaux,  en particulier sur  la  desserte  aéroportuaire,  le  développement  des  activités  économiques  sur  et  autour  de l’aéroport,  la  valorisation  et  l’aménagement  du  domaine  foncier  de  la  concession  en cohérence  avec  la  politique  de  développement  des  autorités  publiques,  les  enjeux environnementaux,  et  la  prise  en  compte  des  enjeux  spécifiquement  liés  à  la  présence  des constructeurs aéronautiques".
 

Le texte précise en outre que "l'Etat  entend,  pour asseoir son appréciation des Candidats (...) mettre  en  place autant  que  possible  une  concertation  avec  les  actionnaires  publics locaux  de  la  Société.  A  cette  fin,  les  actionnaires  publics  locaux  se  verront  offrir  la  possibilité d’exprimer un avis sur le contenu du projet  industriel et social présenté par les Candidats (...)"

En d'autres termes, l'exigence de prise en compte du contexte Airbus semble bien figurer dans le cahier des charges même s'il est à regretter que le terme "autant que possible" fasse peser l'incertitude quant à l'exigence d'un avis peu ou prou conforme des actionnaires publics locaux.

Ce qui explique que le courrier de nos trois présidents se conclue par ces mots en écho à l'annexe 1 page 13 du cahier des charges : "La Région, le Département, la Métropole et la CCI seront appelés à donner leur avis en fin de procédure. L’issu de cet entretien sera déterminant pour l’avis que nous devons émettre".

L'arbitrage dans cette affaire reflète une double contrainte à laquelle l'Etat doit répondre. Un prix de cession à maximiser pour le compte de son désendettement. Une prise en compte de l'apport dans nos comptes publics et pour la compétitivité même du pays de notre industrie locale qui entend préserver l'ancrage foncier de son activité. Tels sont les deux objectifs que nos puissances publiques, locales et nationales, doivent poursuivre ensemble à travers le futur contrat, sans parler de l'intérêt porté aux 300 salariés de l'aéroport.

nb : je n'ai pas trouvé de codicille permettant de charger la barque d'un cofinancement du futur parc des expos par le futur acquéreur, comme l'a suggéré le maire de Toulouse. Ce qui ne manquerait pas d'être compensé par l'Etat lui-même, voire justement... par une survalorisation du foncier aéroportuaire occupé par Airbus... Dans le débat présent, cette suggestion prête en effet à sourire...

A propos du Nobel d'Economie...

Le prix Nobel décerné à Jean Tirole a fait souffler la brise d'un réconfort national. La ville de Toulouse n'est pas en reste au point de publier une pleine page promotionnelle, découverte dans les Echos du 15 octobre, accompagnée de "l'admiration" du maire. Il est vrai que l'occasion de s'enorgueillir ainsi de la distinction des autres était trop belle. Pour ma part, je l'aurais préféré narcissiquement plus économe. Mais je cède également volontiers à l'exercice, toutefois plus humble et plus conforme à l'éthique que je connais du récipiendaire, pour lui transmettre également mes félicitations.

Je voudrais poursuivre ici en soulevant quelques remarques et interrogations citoyennes.
La science économique est une science sociale et non une science exacte. Aussi puissants et exacts que soient ses modèles, ils ne peuvent résumer une réalité sociale et donc acter, a fortiori, de la solution du bien-être pour une société. Prétention que n'a pas - je le précise - Jean Tirole. Le monde n'est pas une équation. 
Il n'y a pas de nobel dans les sciences humaines, excepté celui-ci. Et sa genèse a moins eu pour objet de consacrer une découverte que d'illustrer des travaux. Ce n'est pas un hasard car il n'y a pas de vérité, aussi drapée soit-elle de la rigueur modélisatrice d'une méthode. La difficulté médiatique à traiter l'évènement par son contenu scientifique est révélatrice. On lui préfère alors une lecture politique. Traitement singulier sachant qu'on ne demandera jamais si le nobel de physique est un néo-libéral. Cessons donc d'invoquer imprudemment les grandes catégories des catéchismes du moment dont l'objectif est si souvent de "corneriser" la pensée.


Seconde remarque sur ce qui est dit des travaux en question. Si le monde n'est pas réductible à une équation, d'où vient la force des analyses et solutions avancées depuis quelques années autour de la notion "pollueur=payeur".
Un consensus semble aujourd'hui établi autour de cette idée de taxation des externalités négatives de l'activité humaine. C'est le fameux caractère punitif ou désincitatif de la taxe érigée ainsi en outil de régulation efficace pour le bien public. Si je résume factuellement l'enjeu : le droit de répandre le mal (la pollution) a un prix. Celui d'une taxe.
En admettant l'efficacité de la chose, il n'en demeure pas moins qu'elle installe l'idée que toute chose a un prix et demeure ainsi réductible à un "tarif" et donc, en dernière instance, à une banalisation du comportement qui en oublie l'objectif de bien public lui-même.

  Dans le prolongement de ce principe et pour agir sur la "pollution sociale" du chômage, pourquoi ne pas taxer aussi le licenciement et s'inscrire dans une vision du travail qui est celle d'un rapport marchand, d'un coût, ou d'une variable avant d'être celle d'un rapport social.
Le travail n'est pas que le terme d'une équation. Il est constitutif d'une émancipation humaine et la manifestation de l'encastrement du social dans l'économique. Remarquons à ce stade que l'une des motivations de cette idée, en l'occurence, n'est pas tant de limiter le recours au licenciement que d'en assouplir son usage. Ici, a contrario, la taxe "pollueur-payeur" n'est donc pas celle de la dissuasion. Ce qui en invaliderait donc son précepte et sa louable motivation générique.

  Dans une récente tribune dont ce post n'est qu'un écho, le philosophe Jean-Pierre Dupuy citant un ouvrage de Michel Sandel, philosophe à Harvard ("Ce que l'argent ne saurait acheter" Seuil), évoquait l'exemple de crèches ayant décidé de faire payer une amende aux parents retardataires qui récupéraient leurs enfants après le travail. Et bien le paiement de l'amende à transformé l'obligation morale et la mauvaise conscience en achat d'un service marchand. Qu'arriva-t-il ? Les parents furent plus nombreux à arriver en retard. "Un présupposé de la théorie économique est que le bien et le mal sont de même nature mais de signes opposés". C'est ce qui s'appelle une équation.

Je pourrais poursuivre avec d'autres exemples. Il en va ainsi de l'idée en vogue de rendre le vote obligatoire. J'imagine que son non respect entrainerait donc le paiement d'une amende. Ne peut-on voir poindre là l'extension de cette logique de marchandisation à la démocratie ? Comment ne pas penser aussi à la prostitution dont l'enjeu se partage entre la régulation de ces externalités négatives et le combat contre la marchandisation à travers le paiement d'une amende par les prostitué(e)s dans le cas d'arrêtés municipaux ou de la part du client tel que délibéré par le Parlement ?

Je conclurais par le souvenir de mots prononcés par Lionel Jospin. L'économie de marché est une chose, la société de marché en est une autre. Si cette mise en garde est juste, alors réfléchissons bien aux principes qui guident les intentions louables. Il se pourrait qu'au lieu de valoriser l'esprit de responsabilité de l'individu, ils n'alimentent plutôt l'exonération d'une prise de conscience réelle.

mercredi 8 octobre 2014

L'illusion

Quel est le pays dont :
- le PIB s'est moins accru que la moyenne de la zone euro depuis 2000
- Les salaires ont moins augmenté que la moyenne de cette même zone et moins que l'inflation
- Deux salariés sur trois touchent un salaire inférieur à celui de l'année 2000
- Un enfant sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté
- Les inégalités de revenus sont devenues plus importantes qu'en 1990
- Les inégalités de patrimoine sont les plus importantes d'Europe
- Le taux d'investissement est l'un des plus bas des pays industrialisés (23 % du PIB en 1990 contre 17 % en 2013)

Ce pays est l'Allemagne.

"Comment se fait-il que Berlin accorde autant de valeur aux excédents extérieurs ? Pourquoi l'Allemagne accorde une telle importance à la consolidation des finances publiques en pleine crise ? Comment se fait-il que les allemands se singularisent tant dans la critique des efforts de sauvetage des institutions internationales ?"
C'est par ces mots que Marcel Fratztcher, économiste allemand et Président de l'Institut DIW, introduit son ouvrage "l'illusion allemande" ou il stigmatise les excès de confiance de son pays.
A n'en pas douter, le temps est à la déconstruction du mythe de la singularité allemande.

mercredi 1 octobre 2014

massacre à la tronçonneuse

"Lorsque la hache pénètre dans la forêt, les troncs se rassurent toujours à bon compte en se disant que le manche est des leurs". J'ai décidement un faible pour ce fameux proverbe turc.

Alors que l'actuel Maire-Président de Toulouse s'inquiète de l'évolution des finances publiques locales et de la baisse des dotations de l'Etat, voilà qu'au détour d'un interview dans les Echos du jour son collègue François Fillon - droitement chaussé dans ses bottes - pénètre dans la forêt.
Il propose de multiplier par deux la pression sur les collectivités, de répartir inégalement dans le pays les efforts d'économie, d'en multiplier par trois l'impact récessif, de ruiner davantage encore la confiance.
C'est plus une hache, c'est une tronçonneuse !


"je propose de réduire, en cinq ans, les effectifs des fonctions publiques de 600.000 postes, de porter le temps de travail à 39 heures hebdomadaires"
"Quant aux dotations (aux collectivités), elles devront encore être réduites".
"Je propose un effort prioritaire sur les entreprises avec une baisse des charges financée par une hausse de 3,5 points de la TVA. Je propose aussi une refonte de la fiscalité du capital. La baisse de la fiscalité des ménages viendra quand se feront sentir les premiers résultats sur la croissance."

Quand on écoute plus attentivement encore le détail de son programme, que découvre-t-on ? 
  • La fin des 35 heures, (où comment travailler plus pour gagner moins...)
  • Le recul de la retraite à 65 ans, (où comment travailler plus longtemps pour rien de plus...)
  • L'abandon du système de compensation de la pénibilité et la dégressivité des allocations chômages, (où comment détruire les résultats de la négociation sociale...)
  • Le ralentissement du déroulement des carrières des agents du service public, le rétablissement du jour de carence, le développement du recours aux contractuels, (les agents de la ville apprécieront...)
  • La suppression des droits de mutation (les finances de la ville apprécieront...)
  • La baisse de l'impôt sur les sociétés et la suppression de la taxe à 75 % de l'ISF
Celui qui a fait progresser de 35 Md € la dépense publique entre 2007 et 2012, entend aujourd'hui rattraper ce passif sur le dos du service public, des collectivités locales et de l'équité fiscale.

Quand j'entends dire que le gouvernement mène une politique d'austérité, on peut remercier la droite de nous en rappeler la définition.... Au fait, qu'en pensent Jean-Luc Moudenc et Laurence Arribagé ?