vendredi 28 octobre 2022

L'allumette du 49.3

Une analyse répandue veut que le décor de notre démocratie politique soit partagé en trois blocs distincts. L’extrême-droite populiste, la gauche radicale, la droite libérale. Le contexte récent semble concourir à cette trilogie. Le contenu de la politique gouvernementale tout comme les appels du pied du Président à l’endroit des Républicains manifestent clairement le leadership d’Emmanuel Macron sur ce qui reste de la droite parlementaire. Son espace politique pour dessiner une politique alternative à ce que promeut le Président Macron se réduit à la portion congrue du strapontin. Ils sont en réalité d’accord sur la stratégie économique et sociale du gouvernement. Assécher les finances de l’État, notamment par des choix de politique fiscale, pour mieux justifier dans l’avenir une réduction drastique de la dépense publique. C’est ce qui s’appelle une politique libérale.

Qu’il soit permis cependant de revisiter un point. On oublie trop aisément le 4ème bloc. C’est celui de l’abstention qui représente près de 50% du corps électoral. La légitimité du Président est assise sur un bloc électoral très faible. Le procès lui est souvent fait. Mais que dire alors de ses oppositions. L’argument s’avère dangereux et a toujours été celui de l’extrême droite théorisant la force du pays réel contre le pays légal. Certes, ce peuple-là n’a pas d’expression politique formelle. Ce qui permet ainsi, à toutes les extrémités du spectre politique, de parler à voix haute en son nom et, par agrégation de ses composantes, prétendre à sa représentation. Je ne suis pas sûr que cela suffise car après tout, le peuple, c’est quoi, c’est qui ?

« Une majorité alternative existe, c’est le peuple ! Nous sommes prêts à gouverner. Rappelez le peuple aux urnes, c’est à lui de décider. » Voilà ce que déclarait à ma grande stupéfaction Alexis Corbières le jour du vote de la motion de censure. « La droite sauve le gouvernement de justesse. Il manquait 50 voix pour éjecter le gouvernement. Nous sommes prêts pour la relève ».

Est-ce à dire qu’il suffit de renverser un gouvernement pour dessiner les contours d’une majorité nouvelle ? Y aurait-il le débouché d’une majorité de circonstance pour cette alliance objective d’une extrême droite instrumentalisant une motion de censure déposée par la gauche ? Cette déclaration confirme une orientation. Celle d’un objectif central : renverser le gouvernement, provoquer une crise, une dissolution ou, le cas échéant, un referendum. Ce qui s’appelle jouer avec le feu. Et cette motion de censure, qu’on le veuille ou non, est bien une allumette en vue du chaos institutionnel auquel pourrait succéder le KO d'une dissolution référendaire face au populisme d’extrême droite.

Jouer avec le feu, Jean-Luc Mélenchon le confirmera dès le lendemain du vote en s’adressant à la droite parlementaire. « (…) regardez comment font les députés NUPES ! Leur texte ne comporte pas de mentions répulsives pour vous. Leurs arguments sont concentrés sur des références en défense de la démocratie parlementaire foulée au pied par les macronistes. Vous auriez pu la voter comme l'ont fait les RN à l'Assemblée. Suivez mon conseil. Évitez de mettre des horreurs xénophobes et des délires libéraux dans votre motion, tenez-vous-en à la défense des droits du Parlement et vous aurez une très grande chance de convaincre les autres oppositions de voter avec vous. » Tout est dit. Il fut évoqué l’idée que la présence des socialistes au sein de la NUPES changeait la nature de l’union. En tout état de cause, sommes-nous certains qu’ils en maîtrisent la stratégie ?

Je fais partie de ceux pour qui ce n'est pas l'adhésion à la NUPES qui indique à quel espace appartiennent les socialistes. La clarification de mon appartenance à la gauche n’est en rien subordonnée à cela. En valorisant cette idée, la majorité actuelle du Parti Socialiste oublie bien des leçons de l’histoire, de Léon Blum, qui fut minoritaire au congrès de Tours[i] comme en 1946 face à Guy Mollet, jusqu’à François Mitterrand. Je ne me suis jamais résolu à considérer, depuis bientôt 40 ans, que l’estampille de l’authenticité relevait de la tutelle communiste, gauchiste ou aujourd’hui populiste. Et ce n’est pas la tonitruance de la radicalité qui délimite la pertinence de la frontière.

Depuis le gouvernement de 1936 - qui tomba un an après - jusqu'à celui de 1981 - qui opéra son tournant deux ans après - sans oublier d'évoquer celui de 1997 - qui se verra contraint trois ans après de rééquilibrer sa politique de la demande  - l'histoire nous confirme les avertissements formulés en son temps par Léon Blum et sa célèbre distinction entre la "conquête" et "l'exercice" du pouvoir. Ne pas promettre ce que l'on ne peut tenir.

Où est-il écrit et démontré qu’un militant de la France insoumise est plus à gauche qu’un militant socialiste sachant que LFI se définit par ailleurs elle-même comme procédant du peuple davantage que de la gauche ?

A juste titre, rappelons que la NUPES n’est pas une organisation mais une alliance voire un cartel. Ce ne sont pas « les alliances qui dictent les projets » comme l’a indiqué, rassurant, Olivier Faure. Dès lors est-on en droit de considérer que si l’identité des socialistes n’est pas réductible à l’alliance, on ne peut donc accepter la mâchoire du piège : soit on est dans la NUPES, soit on est pour Macron. Et de cela il faut en tirer les conséquences.

Nous traversons, parait-il, un moment ou l’unité compte plus que la clarté et ou la question de l’identité serait donc moins centrale que celle de l’existence. Faute de « rentrer dans l’histoire, l’enjeu serait tout simplement d’y rester » en garantissant une représentation parlementaire. Et bien s’il s’agissait de cela et que la dissolution n’est pas un objectif en soi, ce temps n’a-t-il pas vécu ?

En d’autres temps, l’union à gauche avait réclamé patient labeur tant il est vrai que l’union, pour gouverner, ne pouvait résulter d’une alliance de circonstance. En faisant le choix de l’unité au détriment de la clarté, tout devient-il excusable ? La concession programmatique, la contrition exigée, la repentance assumée, la caractérisation sommaire des récalcitrants.

On conspue les éléphants d’hier mais on convoque les mammouths d’avant-hier. Cependant, par cette invocation, on oublie trop que l'union d'alors et la victoire subséquente sont nées d’une confrontation au sein même de la gauche. L’union est un combat. Encore faut-il le mener. 

Tout comme le stalinisme d'hier était un obstacle à l’avènement du socialisme démocratique, le populisme d'aujourd'hui, dans son face à face avec Emmanuel Macron, est également un obstacle. Bien sûr, on peut me rétorquer que les français n’ont pas dit cela, du haut des 15 % des inscrits réalisés au 1er tour de la Présidentielle par Jean-Luc Mélenchon. Oui, l’aspiration unitaire a gonflé ce score. Ce fut un vote utilitaire. Mais comment construire de la solidité, de la cohérence, de la solidarité sur la nature dégagiste d’un tel socle.  

Depuis 2002, le premier tour n’est plus celui où l’on choisit, le second étant réservé à éliminer. Le vote utile intervient dès le 1ertour. Et le mécanisme institutionnel s’en trouve aujourd’hui vicié. C’est la victoire d'un triumvirat dégagiste cristallisant trois formes bien distinctes de populisme dont la caractéristique commune est celle d’une légitimité charismatique. Une légitimité s’appuyant sur la providence du leader ou de l’Homme-peuple.

Pendant les 17 premières années de sa vie politique, Blum restera dans l’opposition, refusant notamment en 1924 de laisser son parti au gouvernement du cartel des gauches pour préserver l’essence du projet socialiste. Certes, il s'agissait alors des radicaux de l'époque. Mais comment ne pas se souvenir de 1940, époque ou Maurice Thorez  à propos de Blum, invitait la classe ouvrière "à clouer au pilori ce monstre"" cet exploiteur bourgeois", "ce répugnant reptile". Certes, le contexte était celui du pacte germano-soviétique.

"Les hommes qui, sur les ruines de la démocratie représentative, rêvent d’établir une démocratie populaire se repentiront un jour d’avoir travaillé pour un de ces Etats autoritaires auxquels le non de fascisme sera attaché" soufflera plus tard Léon Blum, en 1948, au congrès de l’IS.

 


[i] - "Nous sommes convaincus jusqu'au fond de nous-mêmes que, pendant que vous irez courir l'aventure, il faut que quelqu'un reste garder la vieille maison" (discours au congrès de Tours) La majorité de la S.F.I.O. ne suit pas Blum ; la minorité paraît « condamnée par l'histoire. "Comment demander au suffrage universel de voter pour les socialistes si ceux-ci, à l’image des communistes, se réfugient dans une opposition systématique ?" Dès 1919, Léon Blum ira mobiliser ses ressources intellectuelles pour convaincre les socialistes d’adopter une attitude responsable et persuader l’opinion qu’ils ont des propositions alternatives aux projets gouvernementaux qu’ils combattent. (Matthieu Quyollet, ed. Perrin, sous la direction de Michel Winock)


vendredi 12 février 2021

L'histoire balbutie, mais jusqu'à quand ?

Carole Delga et Antoine Maurice, lors de la campagne des élections municipales 2020, à ToulouseOccitanie : La désunion de la gauche sera-t-elle un tremplin pour le RN ? D'après ce que je lis ici, ce serait pour Antoine Maurice une "vision des années 80" considérant que cette analyse relève d’une époque où l’ex-Front National « n’avait pas d’implantation locale ».
Outre la faiblesse de l'analyse des causes à tout cela dont il exonère semble-t-il sa propre formation politique, je constate pour la petite histoire que cette vision des années 80 lui aura tout de même permis d'être élu Maire adjoint dans une majorité municipale de gauche victorieuse sur une liste unitaire dès le premier tour... puis d'être battu après s'être désunie à l'élection suivante.
Cette rationalité est bien trop sophistiquée pour moi ! Un peu compliqué tout ça ! Alors imaginez donc pour l'ensemble des électeurs.
Il m'est proposé par ailleurs de convaincre les électeurs du FN en refusant l'autoroute Toulouse - Castres ou en tournant le dos à la LGV. Puis-je m'autoriser une once de perplexité ? A moins de considérer ces électeurs là finalement perdus pour la cause. Et si le premier obstacle de l'écologie en actes n'était pas, aujourd'hui, Europe Ecologie Les Verts, affichant la moue dédaigneuse devant le bilan de sa propre majorité au Conseil Régional lancée toutes voiles dehors en faveur d'un véritable green new deal ? L'histoire balbutie, mais jusqu'à quand ?
Je continue de lire cet article : "Les alliances de la gauche et des écologistes et les désistements au nom du Front républicain n’ont pas empêché l’élection du RN." Les bras m'en tombent ! Que prépare ce genre de périphrase figurant d'ailleurs au rang des arguments des candidats RN eux-mêmes ? Que l'inverse serait donc une meilleure garantie ? Devons-nous considérer, parce que l'implantation de l’extrême droite est désormais dit-il « un fait avéré », qu'elle ne réclame plus le devoir du combat commun ? Si ce n'est pas le cas, alors il faut en faire la démonstration pratique.
Peut-être y vois-je un peu plus clair. Le sujet ne serait finalement pas d'éviter que le RN vire en tête en Occitanie. Il se résumerait plus simplement au souci du quant à soi et à l'affirmation du moi. Souvent ils se cumulent, comme les mandats dont ils sont consubstantiels d'ailleurs. Non seulement je vois beaucoup d'incohérence dans tout cela mais le pire est que je la trouve infantile. En 2020, j'ai voté pour Antoine Maurice au second tour des municipales et voilà que je me surprend singulièrement déçu, et pour le coup désolé, de "ma vision des années 80".

jeudi 2 juillet 2020

Exception toulousaine



Municipales 2020. Les résultats sont là. N'en déplaise au Président Macron, un constat doit être tiré. Il y a deux gagnants en nombre d'élus, LR et le PS. Plus globalement, la gauche progresse dans le gain de collectivités et dans cette affaire, les villes de plus de 30.000 habitants sont essentielles, comme en 1977, à la plantation des graines de l'espoir.
Les écologistes apparaissent comme la nouvelle arme du dégagisme ambiant faite de renouvellement et de fraicheur novice. Chloé Morin remarque utilement que la carte de leur électorat recoupe celle qui fit la victoire d'une autre vague dégagiste, celle de Macron en 2017. Le scrutin d'aujourd'hui a dégagé les dégagistes d'hier sur fond d'abstention massive.
Quant à LREM, les éléments de langage masquent mal l'erreur commise. Ils perdent avec la droite au prix de leur dilution dans une stratégie de strapontins plutôt qu'en tirant le bénéfice d'une identité assumée par une présence autonome et généralisée au 1er tour. Pour une formation politique en construction, il m'a toujours semblé que c'était un prérequis que prendre appui sur le découpage initial d'un rapport de force territorial.

Dans le panorama des grandes villes, Toulouse (avec Nice) fait figure de triste exception. Il y a bien sûr des raisons tenant à l'efficacité des campagnes ou aux péripéties de leur déroulement. Il serait hasardeux de dresser la hiérarchie de leurs effets comme pour mieux s'exonérer soi-même en conspuant l'adversaire ou les défections de son camp. Ces effets ont-ils été si déterminants ? Au vu de l'écart et du taux de participation, j'en doute. Ne cédons pas à la facilité même si le discours de la peur a naturellement pesé.

Sans doute faut-il porter le regard sur des raisons beaucoup plus structurelles. Y aurait-il une incapacité congénitale de la gauche toulousaine à réunir les conditions crédibles de l'alternance ? En l'espace d'un demi-siècle, elle n'aura gouverné la ville que 6 ans, renvoyant la période au statut d'une expérience. 

Ce résultat de 2020 est une nouvelle vexation historique. Il serait trop facile, alors que les vents étaient partout favorables, de se cacher derrière son petit doigt présomptueux, de s'exonérer d'une analyse lucide et de responsabilités propres. Nous avons accouché d'une impuissance.
Les grandes surprises de Bordeaux, Montpellier, Strasbourg, Marseille, Lyon n'ont pas été le produit d'un "archipel". Pourtant, la gauche y a gagné. Nous étions cependant avertis après la tentative de 2001 à Toulouse. Nous connaissions la main experte de la droite pour agiter les épouvantails.

Je fus très circonspect quant à ces nouvelles pratiques de "designers" proposées par Archipel. Une modernité qui puise son fondement dans le rejet des "appareils" et le ressourcement citoyen. Et s’il s’agissait d’une posture esthétique ? On pourrait gloser sur cette notion « d’appareils » contre laquelle ont débuté tant d'engagements politiques, mais grâce à laquelle ils se sont si souvent transformés en carrières politiques. Galvaudée et idéalisée depuis 40 ans, la haine des appareils me rappelle étrangement cette phrase attribuée à Engels : "la preuve du pudding, c'est qu'on le mange". Le présent est balbutiant mais le passé est éclairant. L'avenir en fera de même.

J’entends déjà les cris d’orfraie des principaux artisans de l’expérience 2020 et je lis aussi de leur part la satisfaction d’avoir tout de même « semé les germes de victoires futures ». Au lendemain d’une défaite, le besoin de rester debout et de maintenir la cohésion a si souvent convoqué la tonitruance velléitaire pour le futur. On se plaint du vent contraire en espérant qu’il va tourner alors que le sujet est de réajuster les voiles. A gauche, le monde nouveau proposé à Toulouse n’a pas fait mieux que l’ancien.
  
Il sera difficile de trouver dans tous mes propos quelques allégeances coupables avec l’adversaire. Ma voix n'aura pas manqué à l'appel de la gauche pour le second tour et pour valoriser sincèrement les qualités propres de son tête de liste. Mais nul besoin cependant de l'accompagner pour ma part d'un vibrant remords sur mon analyse préalable de la démarche emmenée par Antoine Maurice virant en tête de la gauche au premier.

Dans le même esprit, je ne vois aucune contradiction à penser que la démocratie représentative a besoin d’une démocratie exécutive en continu. Mais si tel était le tropisme central de cette élection, à la fois discriminant et disruptif de la nouvelle ère démocratique, la gauche ne serait pas passée de 68000 voix en 2014 à 52000 voix en 2020. La réponse à la crise du politique et de la démocratie ne peut se réduire à ce supplément d'âme de la technique participative valant reportage de la demande, comme à l’applaudissement béat d’une convention citoyenne pour le climat. Bref, à la confusion entre l'outil et l'objet.

Au final, tout cela aura permis à la gauche de témoigner et, bien sûr, de se rassembler .... grâce à la responsabilité des formations politiques. Encore heureux que leur décision ne fut pas soumise à six mois de débats en atelier, à des jurys "citoyens" ou encore aux ambitions individuelles. Le paradoxe est là. Tribunes à l’appui, à lire certains, on voue aux gémonies ceux-là mêmes dont on demande le recours pour gagner et, dans leur prétendue faible contribution, on décèle ensuite une bonne part des raisons de la défaite. C’est trop d’honneur !

Cela étant dit, "la juxtaposition atomisée de citoyens éclairés - dont on instrumentalise l'indépendance et l'image pour gagner l'élection - résiste souvent mal à la servitude réclamée pour la suite" écrivais-je déjà en janvier dernier. J'aurais aimé me tromper quant à cette valorisation de l'œcuménisme citoyen devenu le point cardinal, toutes listes confondues, de la garantie démocratique et de l'efficacité représentative.

D'ailleurs, sommes-nous si certains de cette ode nouvelle à l'indépendance d'expertise d'un archipel de citoyens ou les candidats sont là à titre individuel mais procèdent d'une décision préalablement extérieure, collective et organisée ? Sommes-nous si convaincus du mécanisme de tirage au sort au point d'en mesurer in fine la plus-value représentative ? Je ne suis pas hostile en soi à cette technique. Je suis simplement rétif à dresser le modèle en parangon de cette vertu. Je sais combien ce doute est plus répandu qu'on ne l'imagine. 

En y réfléchissant bien, les formations politiques ne sont-elles pas déjà des archipels de citoyens, construisant leur programme, réunissant des volontaires, choisissant leurs candidats. Si Archipel demeure et entend poursuivre sa construction pour devenir le continent d'une espérance, c'est donc bien la voie d'une institutionnalisation chère au doyen Hauriou qu'il s'agira d'incarner. Une communauté de destin, un pouvoir qui s’organise en se dotant d'organes et de normes de délibération, des manifestations de communion réglées par rituels et procédures. Bref, un parti ou... un appareil. Un appareil devenant l'appareil des appareils le temps d'une élection, mâtinée par le hasard d'une caution citoyenne évidemment désintéressée. Le contenant vaut pour le contenu.

Bien d'autres éléments structurels seraient utiles à relever dans ses résultats électoraux, notamment après analyse de la géographie urbaine et sociologique du vote. Cette dimension me semble essentielle pour discerner l’ancrage des dimensions sociales et/ou sociétales (que je préfère à environnementales) des ressorts du vote et interroger ainsi les conditions de reconstruction d'une base sociale à la gauche politique

Concluons sur un mot optimiste. La question environnementale est centrale. Mais c’est parce que la question sociale est urgente que nous pourrons la traiter de façon heureuse. J’ose ici prétendre que l’heure d’un nouveau socialisme démocratique est venue. Exit le vieux débat sur les critères de déficit public, exit les vieux tabous sur la propriété publique des entreprises, exit la demande effrénée de privatisations, exit les visions dépassées du travail et de l’entreprise, exit les approches du service public déconnectées de son égalité d’accès ou de la promotion des biens communs… Le libéralisme est sur la défensive, arcbouté sur la valeur actionnariale. La bataille n’est pas gagnée, loin s'en faut, mais son hégémonie culturelle vacille. La configuration historique dans laquelle nous sommes est bien celle d’une brèche, d’une nouvelle période de refondation contre les paresses de la gauche d'hier, comme dans les années 70, alors que pointe une crise économique et financière sans précédent. Les frontières et la grammaire d'un nouvel État-providence sont à inventer.

Comme d’habitude, l’idéologie libérale va investir la sémantique du progressisme et disputer les moments de gloire de l’écologie « heureuse ». Le champ lexical de la pensée galvaudée s’enrichit. Après la « bienveillance et le vivre ensemble », émerge le « citoyen engagé et l’écologie ». Pas sûr en revanche, que le nouveau « main stream » accepte la semaine de quatre jours, la limitation des écarts de revenus, la solidarité de la rente, le revenu universel ou la dotation pour les jeunes, la codétermination paritaire dans les entreprises…  
La droite et les intérêts sociaux qui la guident ont besoin du "changement dans la continuité" pour garantir leur domination, parfois même au prix de concessions aux humeurs électorales du moment. Avant même le besoin d'unité, la gauche a surtout besoin d'en définir le contenu émancipateur. C'est l'heure.









jeudi 25 juin 2020

Mon choix est fait. Dimanche à Toulouse, je vote Antoine Maurice

Mon choix est fait. Dimanche, je vote Antoine Maurice

Je connais Antoine depuis 2008. Nous avons partagé ensemble à Toulouse un engagement dans la majorité puis dans l'opposition. Je peux témoigner de sa rigueur, de sa capacité de travail et de sa connaissance des sujets. J'ai toujours tenu en estime les politiques dotés de ces qualités, alliées de l'abnégation nécessaire à la crédibilité des convictions.

On peut ne pas être d'accord sur tout. Mais aujourd'hui, face à l'enjeu, on peut surtout être d'accord.

Le spectacle offert par le Maire sortant dans cette fin de campagne électorale achève de me convaincre. Quand l'un parle en adulte à des adultes, l'autre parle en bonimenteur à des enfants. Pire, tel le vendeur à l'argumentation prétendument habile, il parle aux citoyens comme à des clients. On comprend mieux peut-être la nature de ses récents soutiens et de ses permanents soutiers.

La politique est un marché, avec ses lobbies, ses phobies, ses anticipations irrationnelles et ses conventions conservatrices. Les pratiques du Maire sortant, par ailleurs adepte du marketing direct des vendeurs de savonnettes, en disent long sur sa capacité d'innovation, son éthique des convictions et sur la sincérité de ses conversions écologiques ou sociales, en un mot, contemporaines.

Dans notre société du risque social, économique, écologique et sanitaire, nous avons besoin de franchissements. Car en effet, la protection est davantage un principe d'action que de conservation. Le seul franchissement pris désormais depuis quelques semaines par le candidat de droite est celui d'une Trumpisation des esprits. Pas vraiment celui d'une Macronisation promettant que "rien ne sera plus comme avant".

Plutôt que de parier sur l’archaïsme d'angoisses infantiles et de peurs en préfabriqué, je préfère me souvenir de Paul Morand nous rappelant que "la peur a détruit davantage de choses en ce monde que la joie n'en a créé". Oui, la joie d'un bonheur populaire plutôt que l’archaïsme d'une dépression populiste.

Je suis de gauche. Ce n'est un secret pour personne. Et je n'ai jamais sombré pour autant dans sa maladie infantile qu'est le gauchisme. Antoine Maurice non plus et je lui fais ce crédit de ne pas y sombrer davantage demain. Maire de Toulouse, il sera en mesure de poursuivre la synthèse historique d'aujourd'hui. Sa dynamique est dans sa diversité. Car en définitive, à quoi bon rassembler si ce n'est la diversité ? Cette élection est donc bien une promesse républicaine à honorer.

Je pourrais évoquer les programmes électoraux. Tel n'est pas mon objet ici. Je peux juste avancer l'idée que les moments de la démocratie représentative ont besoin de la permanence d'une "démocratie d'exécution". Je rejoins en cela les travaux d'Archipel. Un programme a encore plus d'importance après qu'avant, dans son exécution démocratique plutôt que dans la seule exégèse devenue démagogique.

Je ne siègerais plus sur les bancs des conseils municipaux ou métropolitains. Mais je suis solidaire, depuis mon banc public, de l'espoir toulousain qui nait. Dimanche, je voterai Antoine Maurice.

jeudi 4 juin 2020

Amalgame coupable

"L'ultragauche se sent déjà chez elle et détourne 1 noble cause, l’antiracisme, pour semer encore une fois la violence dans Toulouse, provoquant des heurts et insultant la police.
Ne leur donnons pas les clés du Capitole !
Dans les urnes du 28 juin, disons non au désordre  !" Jean-Luc Moudenc, le 4 juin 2020

Monsieur le Maire sortant, cher Jean-Luc,

Je t'avoue ma stupéfaction à la lecture de ce texte et des tonalités récentes sur ta page Facebook personnelle.
N'étant pas candidat, je ne siègerai plus au sein de notre conseil municipal. Le recul que me confère cette position et l'absence d'enjeu personnel direct dans cette élection me permettent de réagir en citoyen libre...et indigné.

Cette pratique de l'amalgame, qui a toujours signé les discours de désarroi, n'est pas à la hauteur de l'idée que je me fais de la magistrature que tu entends reconquérir.
Combien d'entre nous sommes aujourd'hui outrés du discours de radicalisation offert par le chef de l'exécutif américain ? Certainement, une grande majorité.
Notre indignation devant de telles stigmatisations doit-elle être sélective, ici, à Toulouse dès lors qu'il s'agit d'Adama Traore plutôt que de Georges Floyd.
Toutes les violences sont à condamner. Et je dis bien toutes. Y compris celles que les mots alimentent et ont l'odeur de l'instrumentalisation à des fins de réveil électoral de son camp. Tel est bien le calcul du Président Trump.
Ces effets ne sont pas ceux d'un débat républicain respectueux et de la nuance qui s'impose à tout titulaire d'une charge publique. Dans une démocratie électorale, les adversaires sont d'abord des concurrents.

Je ne crois pas, contrairement à toi, que "l'ultra gauche" rêve du Capitole. Je constate en revanche l'alliée bien commode qu'elle représente aux fins de discrédit de tes vrais concurrents  dont le collectif qu'ils représentent désormais me rassure davantage qu'il ne m'inquiète.

Je veux croire que la crainte de défaite qui t'anime puisse être rattrapée par une plus vertueuse raison d'espérer et un plus grand respect.

Cordialement,

Joël Carreiras
Conseiller Municipal

mardi 19 mai 2020

Second tour des municipales en juin, pour moi, c'est non

18 mars 2020, les sages ont statué. Le Conseil d’Etat a estimé que le report du second tour des élections municipales prévu le 22 mars 2020 est justifié par les circonstances exceptionnelles nées de la propagation du virus Covid-19 et que « le délai de report du second tour apparaît proportionné et justifie, à titre exceptionnel, de ne pas reprendre l’ensemble des opérations électorales là où l’élection n’a pas été acquise ». Le report est donc admissible s’il s’effectue dans un délai raisonnable. L’exercice de la démocratie doit se déconfiner en même temps que les salles de classe. 

Et si la question n’était pas celle-là ? Qu’il soit permis ici de douter de cet avis juridique, fut-il celui du Conseil d’Etat, qui n’a pas à ce jour l’autorité d’une chose jugée mais d’une appréciation d’opportunité.

19 mai 2020, le comité scientifique a également statué. Il ne s’oppose pas à l’organisation du second tour de scrutin… mais le suspendrait à une évaluation de la situation 15 jours avant. C’est-à-dire que les maires sortants demeureraient d’ici là en campagne «institutionnelle » de crise tandis que leurs concurrents n’auraient plus que 15 jours pour en faire de même.
Bref, nous sommes dotés de l’avis de juristes puis de médecins, le politique doit désormais parler.

Une élection est d’abord un processus, un enchainement ordonné, une suite continue d’opérations. Un processus déterminé par un code électoral fixant les règles démocratiques à réunir pour la désignation des édiles. On nous dit aujourd’hui que l’unité et l’intégrité de cette procédure, faite de la tenue d’un premier et d’un second tour de scrutin, n’est pas remise en cause par le délai d’interruption du processus entre ces deux moments. Le délai de deux mois ne serait pas dommageable. 

Qu’il soit permis de douter de cette approche segmentée, alors même que les conditions du second rendez-vous sont consécutives du premier, y compris sur le plan politique. Dans notre cas d’espèce, l’analyse de ce délai de « seulement » deux mois détourne le regard de l’essentiel. Celui d’une modification substantielle, en cours de route, des données de l’élection. 


Un scrutin municipal en juin serait un nouveau scrutin, une nouvelle campagne électorale, de nouveaux programmes frappant de caducité tous ceux qui furent élaborés six mois plus tôt.

Les conditions formelles de la tenue d’un second tour relèvent pour l’essentiel de l’arithmétique. Sélectionner deux (et parfois trois) finalistes, dégager une majorité. Mais elles relèvent aussi d’éléments substantiels, c’est à dire du politique. Veiller à ce que la confrontation démocratique du second tour obéisse aux mêmes conditions et au même contexte que celui du premier. Faute de quoi, c’est bien une forme de rupture d’égalité qui se trouve posée, sans parler de l’article 52 du code électoral et de la communication en période d’élection auquel il faudrait tordre le coup et sur lequel la justice administrative elle-même serait amenée à en préciser l’interprétation. Tout cela après avoir donné un avis favorable à l’installation de l’incertitude juridique et des recours potentiels.

J’ai conscience, en posant la question, de froisser quelques-un(e)s de mes ami(e)s.
J’entends bien les arguments développés, les intérêts en jeu et les motifs invoqués. Notamment ceux de maires sortants que l’on comprendra aisément. J’entends la nécessité de respecter les électeurs qui se sont déplacés au premier tour. Je décèle aussi le besoin de solder rapidement ce rendez-vous démocratique et d’en assurer la régularité. L’Etat d’urgence est sanitaire mais il ne saurait stopper indéfiniment l’exercice de la démocratie. Sauf qu’en l’occurrence, il s’agirait d’une campagne électorale au rabais et d’un scrutin qui ne le serait pas moins. L’exercice de la démocratie n’est pas qu’une formalité

L'élection devrait permettre, me dit-on, de relancer la commande publique. Sauf que je n’avais pas le sentiment que la dépense publique avait baissé dans la période. Rien n’empêche et n’a empêché les collectivités d’agir. La vraie question d’actualité est justement l’actualisation des promesses électorales de premier tour des grandes villes et intercommunalités dans leur capacité de lancer des investissements publics indispensables de demain. 

J’entends aussi l’hypothèse d'une seconde vague épidémique à l'automne qui justifierait que nos établissements publics puissent être définitivement installés et stabilisés afin d’être plus efficaces. Est-ce à dire que la stabilité de nos services publics est liée au renouvellement des gouvernements locaux ? C’est le confinement, et non le fait d’avoir installé ou renouvelé des équipes municipales, qui a rendu difficile l’exercice de certaines missions de service public.
Je ne discuterai pas d’un autre argument entendu, un peu court et trivial. La réouverture des écoles scellerait la possibilité de préparer les bureaux de vote…

Si ce que l’on dit de la crise sanitaire est vrai et qu’il y aura bien un avant et un après. S’il est exact que les conséquences pour les collectivités publiques et donc locales seront d’une ampleur bien supérieure à celles des crises connues depuis plus d’un demi-siècle, que c’est tout un modèle social, productif et de gouvernance qui s’en trouve interrogé, alors il faut prendre acte que ce qui est valable dans les discours du moment trouve cohérence dans la décision à prendre. 

Quelle crédibilité accorder aux promesses de rupture si l’on s’empresse de vite organiser un second tour comme si rien ne s’était passé. La démocratie n’est pas une formalité à remplir. Les compteurs doivent être remis à zéro sur la totalité du processus pour les communes soumises à un second tour. Ce n’est plus une affaire juridique. Ce n’est plus seulement une affaire sanitaire même si elle est essentielle. C’est aussi une question d’éthique démocratique.



mercredi 29 avril 2020

Un plan d'urgence ou un plan de com ?

Aujourd'hui, le conseil municipal de Toulouse est réuni. A son ordre du jour, un plan d'urgence économique dont une délibération phare est celle d'un abattement de 15% de la taxe foncière pour les commerces de détail inférieurs à 400 m².

Bilan prévisionnel : 110 euros par local concerné. Bonjour le choc fiscal de la mesure ! une mesure proposée à l'échelle de la ville à l'intention de ceux qui sont redevables de cette taxe, c'est à dire les propriétaires et non les gérants des 7500 entreprises concernées, quand bien même la charge leur est généralement refacturée dans le cas d'un bail commercial.

Comble du paradoxe ou de l'ironie de la mesure, elle est illégale dans la mesure ou pour en bénéficier dès 2020, il eut fallu la voter avant octobre 2019. Qu'à cela ne tienne, on la vote quand même avec la pleine conscience qu'elle est inapplicable.
Pourquoi tant de communication, pourquoi une telle gesticulation alors que le besoin de trésorerie est immédiat.

Au lieu de cela, il eut été préférable d'accepter une dépense supplémentaire d'aide directe et immédiate plutôt qu'une programmation de recette fiscale moindre l'année prochaine. Cette mesure du plan de Monsieur Moudenc n'a rien d'une mesure d'urgence.

Il est vrai que l'échelon communal  n'a pas le droit de verser d'aide directe aux entreprises. Pourtant, Bordeaux a trouvé la solution. Il suffit de coconstruire ou d'abonder des fonds d'urgence créés pour cela par ceux qui disposent de la compétence à verser des aides, en l’occurrence la Région Occitanie, tout en établissant un règlement d'attribution permettant d'assurer les bénéficiaires du territoire. Après tout, le produit engrangé hier par la taxe foncière sur le territoire pourrait utilement servir aujourd'hui dans un contexte exceptionnel de difficultés.