mercredi 11 juin 2014

Réflexions sur une défaite



Depuis le 30 mars dernier, ce blog est resté silencieux. 
J'en conviens. Au delà de cette carence, la longueur de ce papier ne suffira pas à épuiser le sujet.

Respectueux du résultat des élections municipales et du temps nécessaire à l'installation de la nouvelle majorité, je n'ai décemment pas souhaité abondé la période de commentaires, ni installer une quelconque posture d'amertume. "Chi va piano va sano !". 

Dans mon esprit, il ne s'agit pas de refaire le match. Le peuple n'a jamais tort. Il a parlé. Voilà tout. Précisons toutefois qu’il a parlé d'une faible voix au vu de l'abstention historique pour ce scrutin. L'assise majoritaire est bien plus fragile qu'on ne le croit et elle devrait encourager une certaine humilité.

Pourtant, du côté des vainqueurs, suffisance et mépris gagneront parfois certains esprits fragiles. Ils n'en seront que plus dérisoires. L'Histoire fera son tri. Je doute en effet qu'en quelques lignes je puisse en conjurer le risque.

Dresser le diagnostic de la défaite de la gauche est évidemment une nécessité. Elle doit assumer et analyser sereinement les leçons du scrutin pour mieux contribuer, dans la crédibilité, aux futurs devoirs de l'opposition. Il ne s'agit pas pour autant de se couvrir la tête de cendres. Nous devons être lucides et constructifs. Tel est l'objet de la contribution qui suit et qui en appellera d’autres plus prospectives.

J'évoquerais ici quatre constats majeurs. Se grefferont certainement d'autres analyses, plus précises et circonstanciées, géographiquement situées ou sociologiquement instructives. Elles ne manqueront pas d'être pointées par tous ceux qui eurent à cœur de participer à la campagne électorale et au bilan municipal.

1°/ Premier constat, l'impact de la grève nationale du vote des électeurs de gauche est naturellement l'élément majeur du résultat.
Je repense encore à cette université d'été des socialistes à La Rochelle. Nous sommes en 2012. Le contexte est celui d’un cycle quinquennal annoncé par le nouveau Président de la République. 2 ans d'efforts, 3 ans de "réconfort". Je m'inquiétais déjà de ce découpage temporel qui allait immanquablement fragiliser les pouvoirs locaux en renouvellement. La politique gouvernementale et l'intérêt du pays étaient évidemment ailleurs. 

On glosait alors sur le schéma inverse à l'année 1983 qui connut, après deux ans d'une politique de relance tous azimuts, l'ouverture d'une longue "parenthèse de pause". Il fallut attendre 1997 pour qu'elle se referma avec Lionel Jospin et son quinquennat de croissance. Le contexte économique n’est évidemment pas le même aujourd’hui. La profondeur et l’urgence des efforts n’ont bien sûr pas la même intensité.

En 2008, la gauche est parvenue au Capitole au moment d’une crise financière sans précédent, aggravant la situation de finances publiques mises à mal par le gouvernement d'alors, réclamant des pouvoirs locaux une contribution plus forte à leur équilibre et, en même temps, la poursuite d'une fonction d’amortisseur local des effets de la crise. Plus que jamais, à l'échelle locale, le moment n’était pas celui d’une politique de récession.

La gauche toulousaine, de façon équilibrée, a répondu présente dans ses compétences locales pour assumer de front le double défi. Elle a mobilisé ses moyens pour maintenir l’investissement, développer des services nouveaux et des tarifs accessibles, préserver l’emploi et le pouvoir d’achat, stabiliser l'impôt local, tout en perdant des ressources en fiscalité économique et dotations d'Etat.

Malgré cet effort, elle n’a pu empêcher en 2014 la nationalisation du scrutin. Elle n’a pu promouvoir ce discernement qui aurait permis de constater que le « socialisme municipal » à Toulouse relevait moins d’une politique de l’offre que d’une stratégie différenciée de soutien à la demande sociale comme à la vie économique, tirée notamment par la commande publique et encouragée par l’innovation.

Tout bien pesé, le paradoxe veut que la Gauche à Toulouse ait perdu l’élection sans n’avoir justement rien édulcoré de ses engagements, de son éthique de l'action publique et de son « réformisme de transformation ». Elle a donc perdu mais elle est debout.

2°/ Second constat, si en 2008 la gauche unie fut le moteur essentiel de la victoire, la division de 2014 en aura été son dissolvant. Le 1er tour n'a pas dessiné de nouveaux rapports de force au sein de la gauche. La stratégie écologiste a secondarisé l'objectif central qui était de gagner au bénéfice d'un autre, qui était de témoigner d’un débat et d'une diversité. Cette dernière est bien sûr nécessaire. Mais la culture du débat et de la diversité suppose aussi son propre dépassement pour éviter l'impuissance d'agir. 

Les sondages, alors qu'aucun ne prédisait la victoire de la droite, ont évidemment contribué aux stratégies émancipatrices faisant fi de l’efficacité de la gauche unie au profit d’un challenge en son sein. 

Je continue de penser que la stratégie des uns et des autres n'a politiquement rien enrichi. Ni le débat, ni la gauche, ni les conditions d'une affirmation singulière, ni les conditions d'une victoire pour tous

L'écart de voix au premier tour du fait de la dispersion à gauche a offert le point d’appui nécessaire à l'UMP et au dégel de ses abstentionnistes qui ne croyaient pourtant pas la victoire possible. L’unité de la gauche était d’autant plus indispensable et sa responsabilité d'autant plus grande que la stratégie de rassemblement mise en œuvre par le candidat de droite, tirant les leçons de 2008, avait quant à elle fonctionné.

A une semaine du second tour, il ne restait plus à la liste de la gauche et des écologistes que de fusionner aux mêmes conditions que deux mois plus tôt et de poursuivre de fait une campagne de premier tour. Elle fut axée sur les abstentionnistes, invitant au sursaut ses propres électeurs et imprimant difficilement la marque du dépassement et de la confiance. 

3°/ Troisième constat, un premier mandat est toujours fragile. On ne peut comparer la défaite de Toulouse à celle d'autres grandes villes, historiquement ancrées dans une gestion de gauche. Comment ne pas rappeler la difficulté d'une alternance après 37 années de monopole de la droite ? 

Le début du mandat fut celui du "réarmement". Ce fut le long moment de l'installation des outils et du pilotage, du temps passé en salle des machines, du "savoir-faire". Un sentiment d’impatience gagnait les commentaires : « on ne voit rien venir ».
Succéda ensuite la période du "faire" et des réalisations. Le sentiment inverse commença à poindre. « ça va trop vite, peut-être trop loin ! ».
Et enfin celle du "faire-savoir". Sauf que le "faire-savoir", dans la société d’aujourd’hui, ne doit pas relever d'un moment particulier. Il est davantage un processus permanent de partage et de co-construction citoyenne. Nous l’avions engagée. Elle méritait approfondissement.

Nous avions un mandat des électeurs. Il n'était pas simplement de gérer la ville comme on administre les choses. Nous avons fait le choix d'une administration de projet, d'un grand projet de modernisation, de mise en mouvement, de préparation de l'avenir. Nous avons souvent dit combien la mesure de l'intérêt général ne pouvait avoir pour étalon le temps court d'un seul mandat. Le risque s’est aussi niché là. Le risque d'un certain courage. Celui de voir plus loin que la condition du jour. L'ampleur de ce que nous engagions a bien illustré la noblesse de l’action.

Quoi que l’on chuchote sur le tempérament de Pierre Cohen, notre maire sortant, il en fallait justement une dose pour mener à bien un tel chantier volontariste. Cette force suffisait-elle à faire reconnaitre le travail accompli et à susciter l’engouement sur un bilan ? En  l’occurrence, non. Nos adversaires ont outrageusement surfé sur les inquiétudes et pernicieusement gravé le revers de la médaille, transformant la conviction éclairée en dogmatisme chevillé et la rigueur éthique en rigidité de principe.

Le cœur des enjeux, dans une métropole comme Toulouse, relevait de politiques urbaines et structurelles lourdes. Celles des temps longs. Je pense bien sûr à l'urbanisme, la mobilité, l'espace public, le logement. Je pense aussi aux politiques sociales. Je pense enfin à la difficile bataille de l'emploi qui passe par le développement économique pour tous et partout.
Dans une période ou le scepticisme sur l’avenir charrie toutes sortes de replis sur soi, de rétractions démocratiques, il faut d'abord sécuriser le contexte de l'action, et donc sa perception par nos concitoyens, alors même que les adversaires en cultivent les relents anxiogènes.

Persuadés que le risque principal, pour Toulouse, était davantage de ne rien faire et de s’attacher à l’écume de ses conservatismes plutôt que d'agir à la racine de ses difficultés, sans doute avons-nous sous-estimé les accompagnements que nécessitait cette forte orientation.

Aurions-nous donné le sentiment dès lors de négliger certaines inquiétudes du quotidien qui étaient d'ailleurs souvent le résultat de politiques passées ?  Peut-être. 

Alors que notre politique s'attachait à y répondre plutôt qu’à les exploiter, l'ingratitude ressentie le 30 mars au soir n'en fut que plus grande. Sans doute aurait-elle pu être tempérée sans reniement aucun par un "affectio societatis" plus intelligible et construit.

La gauche souffre souvent à expliquer la profondeur nécessaire des mutations à engager et le temps indispensable à leur juste appréciation. D'où l'importance de la présence de terrain, de l'impératif de proximité et de disponibilité, même s'ils ne peuvent cependant tenir lieu de politique dès lors qu'ils se satisfont de l'illusion rassurante des réponses cosmétiques ou de l'illusion démagogique chères à nos adversaires.

4°/  Le quatrième constat est corrélatif aux précédents. En politique, l’action ne représente pas la totalité de ce qui la légitime et notamment la dimension identitaire de la représentation politique. Ce qui explique fondamentalement l'attachement de nos concitoyens à la commune. Cette figure archaique, comme diraient les psychanalystes, est inscrite dans les profondeurs de l'architecture institutionnelle et de l'imaginaire social de notre pays. Et elle emporte des conséquences sur le gouvernement des Hommes.

Parce qu’on élit davantage un maire qu'une liste, la personnalisation est une figure imposée de cette dimension identitaire. La seule nature de pouvoir que la décentralisation ait transférée est d'ailleurs un pouvoir exécutif, et non législatif. C’est dans la façon de l'exercer que se caractérise cette identification et la ténacité du lien démocratique.

L'efficacité de l'action, l'ingénierie des politiques relèvent des dimensions fonctionnelles de l'exercice du pouvoir. Mais elles s'accompagnent aussi d'une dimension plus organique, d'un mandat plus implicite relevant de l’empathie protectrice, des symboles, de la transmission.
On retrouve en quelque sorte ce double visage en pensant au double niveau de la proximité communale (hier paroissiale) et de l'ingénierie intercommunale (demain métropolitaine).

En politique, je suis convaincu qu'une bonne communication n'est que pédagogie de l'action. Elle permet de conforter sa légitimité ainsi que l'autorité qui s'y rattache. Elle relève d’un sujet plus large que ne l’indique le mot. Elle touche aux ressorts de la démocratie et de l’appropriation de la chose publique.

A certains égards, l'expérience de la gauche au Capitole aura été celle d’une politique de la reconstruction, imprimant le rythme de l'ingénierie politique au service d’une vision et d'une éthique, mais au dépend parfois des temps du corps social et de la disponibilité nécessaire au portage comme au partage.

Certains diront que cet excès de confiance résultait d’un trait de caractère. Il relevait surtout d’un choix politique marqué par l'urgence de la revitalisation et du changement de braquet que réclamait l'ambition de notre programme pour Toulouse.

****

A travers ces quatre questionnements éloignant parfois le nez du guidon, j’ai conscience de ne pas avoir été à ce stade exhaustif. Cette contribution reflète davantage un moment de recul et de réflexion sachant que le travail d'inventaire ne peut pas être celui d'un simple rendez-vous exutoire pour les uns ou expiatoire pour les autres. Ce doit être un processus qui s'ouvre et se conclue par des perspectives.

Devra sonner le temps d'une reconstruction, sur la base d'un bilan revisité. Ce bilan aura besoin de la vigilance nécessaire pour protéger les acquis du mandat qui s'achève. Il s'agira aussi de le dépasser en évitant d’en rester à sa seule défense intransigeante mais en le mettant en perspective d’une nouvelle période de reconquête. Tel sera le travail collectif à engager par le Parti Socialiste Toulousain.

Le moment est venu d'ouvrir une nouvelle période. L'histoire de la gauche et de Toulouse ne s'est pas conclue le 30 mars dernier. L’avenir de l’une et de l’autre reste à conquérir.

2 commentaires:

  1. Bonne analyse mais la reconquête doit passer aussi par le renouvellement des cadres du Parti et par un changement radical des fonctionnements internes à tous les niveaux.

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  2. Stéphan Paintandre12 juin 2014 à 11:43

    Cher Joel,
    ton analyse se tient, mais fait l'impasse délibérément, sans doute, sur les responsabilités des acteurs de la politique locale qu'on été les élus. C'est dommage.
    La coupure avec les Toulousains a été précédée d'une coupure avec le parti quasi instantanée après l'élection. Les militants n'ont pas pu prendre part aux décisions qui les concernaient, pas plus que les toulousains. Les militants qui faisaient remonté les doutes, qui très tôt ont été présents sur le terrain, n'ont pas été écoutés, pire ont été ostracisés, comme des Cassandre. La démocratie locale a été très vite ressenti comme une mascarade où l'on présentait des non choix aux citoyens de cette ville.
    Les quartiers populaires n'ont pas fait, contrairement à ce que l'on avait promis en campagne, l'objet d'un traitement ambitieux et solidaire. On a laissé sur ce terrain là progresser le terreau qui a permis à Moudenc de remporter la mise avec des promesses de Gascon totalement irréalistes et des postures électoralistes qui plaisent aux religieux, comme son positionnement sur la manif pour tous (qui n'a pas tenu plus d'un moi: en ce moment il drague honteusement les associations LGBT).
    La rupture avec les verts est dommageable, c'est une certitude, mais en imputer la responsabilité aux seuls EELV est aussi une pantalonnade.
    Sur le lien avec la politique nationale: je ne te rappellerai pas la réunion où j'ai dit qu'il fallait se distancier avec les actions gouvernementales et qu'il fallait municipaliser le débat, et où toi, Francois, Pierre m'avais soutenu le contraire allant jusqu'à me dire "tu parles comme Mélenchon". Venant de ta part, bien entendu je trouvais ça normal: c'est bien ton courant, ou ce qu'il en reste qui porte cette politique sociale libérale, qui casse les classes moyennes sans arriver à tirer les classes populaires, à l'intérieur du ps. Tu es au moins cohérent avec toi même, même si le résultat montre que vous avez eu grand tord et que le virage de la localisation du débat dans la campagne a été pris trop tard.
    Loin de moi l'idée de donner des leçons et je suis profondément désolé que le PS ai perdu Toulouse et que le pire programme municipal de France soit à l'oeuvre. On en voit déjà les effets sur la culture, sur les politiques de santé, Toulouse se recroqueville sur elle même, perdant les ambitions légitimes qui devrait être les siennes. Mais ce genre de constat où tu n'imputes rien à la gouvernance de la ville, les Français n'en peuvent plus. Ils veulent que leurs femmes et hommes politiques répondent de leurs actions, ils l'ont dit encore en votant massivement pour le FN. On dit toujours "nous avons entendu", mais rien ne change, ton constat n'oblige pas de changement de la part des politiques.... Il le faut pourtant, c'est par là que passe l'avenir de notre pays. Amitiés à toi.


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