Proposé comme nouvel horizon idéologique, les vertus de ce parangon me laissent dubitatif. Devrais-je en perdre mon brevet de socialisme et crouler sous les injonctions d'exégètes me sommant de penser un monde nouveau, fait de décroissance et de dilution du travail comme point cardinal de notre Etat social ?
Je ne veux pas commenter plus avant les arguments sur son coût, immédiat comme à long terme, qui en fragilisent la crédibilité. Mais je persiste à penser, parce que je suis socialiste, que ce revenu ne permet tout simplement pas de s'attaquer à la question des inégalités structurelles de la société. Nous le savons, les politiques de redistribution
menées aujourd'hui n'atteignent pas l'efficacité espérée. Elles ne traitent pas des causes des inégalités. Or, il ne suffit plus de laisser
faire le marché et de redistribuer, après coup. Sur ce constat, les socialistes seront d'accord pour rejoindre ainsi l'approche développée en son temps par D. Strauss Kahn.
Le mercredi 10 décembre 2014, lors de son intervention face à la fondation Jean Jaurès, Manuel Valls déclara d'ailleurs : "alors que la redistribution se contente de revenir a posteriori sur les inégalités, je crois que nous devons orienter notre modèle vers la pré-distribution, c’est-à-dire prévenir les inégalités".
La conclusion n'en est pas pour autant celle de la "pré-distribution" d'un revenu à chacun, que Valls ne préconisera pas, si peu efficiente sur la structure même des inégalités (sans doute, d'ailleurs, celle d'un patrimoine le serait-elle davantage dans le paysage actuel des inégalités de naissance).
Une vraie démarche alternative devrait plutôt répondre aux « modèles inefficaces qui redistribuent aveuglément sans tenir compte des besoins de chacun ». Bref, le Revenu Universel relève moins d'une politique de redistribution que de conservation.
Jacob Hacker, politiste américain et père de la notion de pré-distribution indiqua très justement que "les citoyens veulent un boulot et des opportunités d’ascension sociale, bien plus qu’un chèque de l’Etat." (...) "les réformateurs progressistes ont besoin de se concentrer sur les réformes de marché qui favorisent une distribution plus juste du pouvoir économique et de ses bénéfices avant même que le gouvernement ne collecte des taxes ou n'attribue des prestations."
Je me refuse à acter la fin du plein emploi alors même que nous sommes confrontés face à l'ampleur de besoins sociaux non satisfaits. Cette résignation s'inscrit de fait dans la stratégie néolibérale dont le revenu universel deviendrait vite le cheval de Troie. Inscrire cette proposition dans la situation actuelle du rapport de force capital / travail est un piège qui conduirait, par ailleurs, à une aliénation définitive des classes moyennes, à une généralisation de "l'intermittence" (Bernard Stiegler) et à une uberisation accélérée de l'économie. Il y a au contraire un enjeu pour davantage de travail.
Il n'est pas étonnant que l'idée soit défendue par des économistes libéraux et non des moindres. Il y a bien sûr plusieurs versions et je ne fais pas l'injure à Benoit Hamon de confondre la sienne. Mais il n'en demeure pas moins, de ce fait, qu'elle n'est donc pas ce marqueur original ou cette nouvelle frontière du socialisme de la transformation sociale. Le revenu Universel peut devenir, bien au contraire, une arme de destruction massive de l'Etat social (selon les termes d'un collègue des économistes attérés Dany Lang) dans la mesure ou la question de son financement pérenne n'a toujours pas de réponse satisfaisante.
Enfin, dernier risque déjà évoqué notamment par nombre de syndicalistes : Les employeurs feront naturellement tout pour récupérer le montant du revenu de base sur les salaires comme les propriétaires l'ont fait pour l'aide au logement sur les locataires. Le risque d'une mise en concurrence plus forte encore des travailleurs sur des travaux à faible valeur ajoutée et d'une pression accrue sur les salaires, notamment le SMIC, ne serait pas à exclure.
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