Le constat démographique
Les travaux de l’Agence d’Urbanisme
de l’Agglomération Toulousaine ainsi que les enquêtes ménages offrent des
indications utiles sur la mobilité dans l’agglomération. Ils confirment que
l’essentiel de la progression des déplacements se situe naturellement en
périphérie avec un fonctionnement en bassin qui se conforte d’année en année.
Les principaux flux sortants des
bassins de mobilité relatés par les travaux de l’AUAT se situent au Nord et à
l’Ouest de l’agglomération qui connait quant à elle des polarités plus
nombreuses. Ces éléments ont été confirmés depuis 2004 et la dernière enquête
ménage[1] de 2013.
Ils sont attestés par ailleurs par les taux d’engorgement des réseaux viaires.
Ils sont également reflétés par les contrats d’axes figurant au SCOT (plus de la
moitié des contrats) et dessinant le maillage de corridors de déplacements et
d’urbanisation.
Nonobstant les évolutions présentes
et à venir au Nord de l’agglomération, rappelons utilement que c’est le secteur
Ouest qui aura connu ces quinze dernières années la plus grande progression de
population tout en ne bénéficiant d’aucune infrastructure de transport vraiment
nouvelle et capacitaire.
-Evolution en dix ans du nombre d’habitants-
La 3eme ligne de métro se définit
comme étant celle de l’emploi avec le souci de desservir les pôles générateurs.
Je partage le souci d’un
réseau efficace et étendu à la zone Nord-Ouest, dont Colomiers, fortement
pourvoyeuse mais il serait utile de voir dressée la cartographie
précise des déplacements domicile-travail et des enquêtes Origine / Destination
des pôles concernés. Les salariés des pôles majeurs sont-ils concernés par l’ensemble
du corridor prévu ? L’exigence d’efficacité des rabattements sur cette
ligne structurante est-elle soutenable en termes d’offres nouvelles cumulées ?
Ces éléments apporteraient un
éclairage utile sur les besoins de rabattement des bassins de mobilité sur
cette 3eme ligne.
Source AUAT EMD 2013
Dans le même esprit, la
pertinence du projet gagnerait en crédibilité s’il était accompagné des
restructurations du réseau associées et des développements d’offre bus
indispensables.
A ce stade, compte tenu des
contraintes posées sur la maîtrise des coûts d’exploitation et des expériences
passées de mise en service des lignes A et B, cette perspective est loin d’être
acquise.
Evolution des coûts d’exploitation : une approche comptable
inquiétante pour la qualité de l’offre
Concernant les recettes attendues[2], sur la
base de 50 millions de voyages par an, elles sont estimées par le maître
d’ouvrage à 20.5 M€ (0.41€ par voyage). En réalité, ce raisonnement souffre
malheureusement d’une carence notable. Il n’intègre pas les dizaines de
milliers de voyageurs qui chaque jour prendront le métro suite à une
correspondance. Un an après la mise en
service de la ligne B en 2008, on constata 38 millions de voyages mais
seulement 24,3 millions de déplacements supplémentaires[3].
L’effet d’induction conduit donc à relativiser fortement cette recette. En
réalité, retenir la notion de déplacement s’avère donc plus sage pour mesurer le
produit final. Sans doute doit-il être divisé par deux et conduire à une plus
grande circonspection quant aux visions d’équilibre des coûts d’exploitation
d’une ligne de métro prise isolément.
Concernant les recettes
commerciales, c’est-à-dire la politique tarifaire, le SMTC s’est engagé
sur une réforme dont l’objectif, selon les propos tenus lors du débat public du
13 septembre 2016, n’est pas celui d’une progression des recettes. Or, selon
les projections dont nous disposons, leur évolution est bien l’une des
variables importantes de l’équilibre financier futur. Il serait ainsi programmé
un bond de 10 M€ de recettes nouvelles entre 2016 et 2018 sans rapport avec
l’évolution de la fréquentation, soit 13 % de progression. L’inquiétude sur les
tarifs, notamment le tarif jeune[4] et
demandeurs d’emploi, nous apparait aujourd’hui justifiée quant aux motivations
de leur remise en cause.
Si nous considérons cependant qu’un
réforme tarifaire n’est pas illégitime en soi, la logique qui doit la présider
n’est pas de remettre en cause des avantages tarifaires qui ont prouvé leur
efficacité à travers la progression des abonnements de près de 70 % chez les jeunes
lors de leur mise en œuvre. A contrario, nous avançons que tout recul sur le
sujet conduirait inévitablement à des effets d’éviction dommageable pour
l’attractivité du réseau. En revanche, la mise en œuvre d’une tarification
solidaire, en fonction de la capacité contributive des usagers, demeure la
piste d’une plus grande équité qui peut raisonnablement s’accompagner de
mesures spécifiques sur critères d’âge ou de statut.
Concernant les coûts d’exploitation, après le
numérateur des recettes, il convient de s’intéresser au dénominateur, c’est à
dire les dépenses. Il est indiqué que les dépenses d’exploitation de la ligne
sont « évaluées à ce stade entre 30 et 35 M€, soit le même ordre de
grandeur que chacune des deux lignes existantes »[5]. Ainsi,
le coût d’exploitation de 28 kms de métro serait le même que celui de la ligne
B de 15,7 kms ? Qu’il soit permis de douter de la fiabilité du
raisonnement. Il serait utile, à titre comparatif, que le maître d’ouvrage
communique la décomposition des coûts des lignes de métro actuelles ainsi que
ses intentions en matière de fréquence de rames et d’amplitude horaire futures.
C’est un élément important, nous semble-t-il, du débat public.
Si on s’intéresse cette fois au
coût d’exploitation global du réseau Tisseo, car il fait partie des
variables de faisabilité du projet, il est indiqué la perspective d’une
évolution nécessairement contenue au rythme de 2 % / an. Nous considérons
inatteignable cette perspective sauf à mépriser les considérations qui suivent.
La première est relative à
l’évolution moyenne constatée ces dernières années de l’ordre de + 5 à + 7%. Si
nous pouvons admettre la nécessité de contenir ce rythme à un niveau plus
raisonnable, il n’en demeure pas moins que ces évolutions moyennes sont pour l’essentiel
liées à des coûts incompressibles.
Le rapport d’activité 2014 de
l’exploitant est à ce titre éclairant. Sur l’exercice concerné, les dépenses
ont augmenté de 5,8%. « Les 2/3
correspondent à des dépenses de personnel.(…) Plus précisément, 43 % de cette progression
est liée à de la production d’offre kilométrique (+ de 1 million de kms) et 21
% à de la mise en service de projets structurants (Prolongation Tram aéroport
et 3ème dépôt) ». Comment peut-il en être autrement
demain si ce n’est à la marge, et ce d’autant plus que le projet mobilités
prévoit une augmentation de réseau de surface à hauteur de 7.2 millions de Kms
annuels ?!
Le transport est déficitaire par
nature, la moindre création kilométrique sur le réseau de surface engendre
mécaniquement du déficit d’exploitation. Nous sommes en présence d’un service
public. D’où le souci de préserver une gestion directe. Même si l’efficience
est à rechercher et qu’un effort est à fournir dans l’amélioration des ratios
comparativement à d’autres réseaux, la démesure de l’objectif assigné
interroge.
J'en viens à la seconde raison
d’inquiétude. L’ampleur de la maitrise des coûts d’exploitation risque fort
d’aboutir à une dégradation de l’offre, à une limitation de son développement, à
l’accroissement d’une sous-traitance de lignes qui est déjà passée de 14 à 19 %
en deux ans, sans parler du risque social inhérent à ce qu’on nomme pudiquement,
un « effort de rationalisation ».
Enfin, le risque de surestimation
du ratio d’exploitation soulève aussi une autre interrogation. Elle est
redoublée du fait de la longueur de la ligne envisagée (28 km) qui serait la
plus longue de tous les réseaux et l’équivalent du linéaire actuel des lignes A
et B réunies. Cet état de fait renforce
le caractère décroissant du rendement de ce type d’investissement (fréquentation
/ coût d’investissement). Le ratio se dégrade avec l’accroissement de la
distance. Plus la distance est longue, plus le coût par voyage est mécaniquement
important.
La fragilité du plan de financement : des incertitudes plus
importantes qu’annoncées
Le SMTC indique que le plan de
financement du projet est assuré à 90 %[6]. 397 M€
seraient encore à mobiliser au titre de participations de l’Etat, de l’Union
européenne, d’autres collectivités. Nous considérons en réalité que le plan de
financement est bien plus fragile qu’indiqué.
La contribution du Conseil Départemental,
de 200 M€, fixe sept conditions non réunies à ce jour dont le
renforcement du niveau de desserte du réseau bus actuel, afin d'irriguer tous les
territoires, des garanties quant à la mise en œuvre d'une politique tarifaire
des transports accessible et sociale ainsi que « l'intégration au tracé du
prolongement de la ligne B du métro, de Ramonville à l'INPT; assurant
l'interconnexion entre la nouvelle ligne de métro et la ligne B, et ce sans
rupture de charge »[7].
S’il faut rappeler que le montant fléché sur la TAE s’élève à 167 M€, les
conditions formulées par cette collectivité exigent une vision consolidée de l’ensemble
du PDU.
Concernant la Région
Occitanie, son soutien à l’intermodalité et au PDU, à hauteur de 150 M€, dépend
également du traitement de la liaison Ramonville – Labège.
L’appel à une contribution
spécifique des communes de Blagnac et Colomiers nous interpelle. Outre
l’absence d’assise légale dans la mesure où ces communes, membres de la
métropole, lui ont transféré la compétence, la commune de Colomiers a déjà
indiqué son opposition à voir ainsi disloqué l’esprit communautaire de la
métropole.
La contribution
supplémentaire demandée aux intercommunalités membres du SMTC ne fait toujours
pas l’objet, à ce stade, d’un accord ou d’une délibération manifestant leur
engagement. Le SICOVAL a indiqué l’impossibilité de voir sa contribution passer
de 1,5 à 15 M€, évoquant même un chiffre « sorti du chapeau »[8].
Quant à la Métropole,
l’horizon dressé d’une contribution de 180 M€/an en 2024, soulève également
interrogations de la part d’un certain nombre de maires qui verront culminer au
même moment une véritable zone de risque sur l’endettement public local et sur les
autres projets d’investissement.
Le besoin de financement externe ressort à environ 1 Milliard d’€ (hors branche aéroport) pour l’ensemble du PDU.
Le besoin de financement s’élève
à 913 M€ (843M€ - 110M€ (aéroport) + 180M€ de la solution métro) pour la seule
opération TAE, soit 746 M€ en prenant en compte la contribution fléchée du
Conseil Départemental de 167 M€ (18% du besoin de financement).
En supposant - ce qui ne sera
vraisemblablement pas le cas - l’affectation totale de la participation de la
Région Occitanie sur cette seule opération à hauteur de 150 M€, le besoin de
financement s’élève à près de 600 M€.
Si l’on ajoute les incertitudes sur le pacte financier des
collectivités membres du syndicat évoquées plus haut, le plan de financement révèle
la fragilité d’une forme de fuite en avant.
Les aléas de l’équilibre financier
Les prérequis de l’équilibre
financier du projet sont soumis à plusieurs types de variables recensées de
façon très optimiste.
Première variable : le
Versement Transport. L’hypothèse retenue est celle d’une évolution moyenne de
2.5 % sur 20 ans qui repose sur des paramètres indépendants de la collectivité.
Parfois hiératique, la progression de cette ressource n’est pas, en soi,
dynamique. Une simple variation négative de 0.5 pt de cette moyenne priverait
en effet de façon cumulative quelques centaines de millions d’euros que la
collectivité devrait, au final, compenser.
Seconde variable : les
coûts d’exploitation. Le sujet a été évoqué plus haut. Si la progression des
coûts s’avérait de + 3 % au lieu de + 2 %, le besoin de financement
supplémentaire s’élèverait en 2030 à hauteur de 62 M€.
Troisième variable : la
contribution des collectivités. Outre qu’il est prévu qu’elle passe de 102M€ en
2016 à 185M€ entre 2025 et 2030, rien ne garantit à ce stade qu’elle ne devra
pas compenser davantage encore le besoin de financement basé sur de mauvaises
estimations. Bref, le levier fiscal nous apparait fort probable dès 2020
sachant que la collectivité à l’obligation d’équilibrer les comptes du syndicat
mixte.
Stratégie d’endettement, une course soutenable ?
Concernant la dette, la
soutenabilité de l’encours est soumise à d’importantes variables et, compte
tenu des montants, à un risque important notamment lors des premières années de
la mise en service de la ligne.
Certes basée sur une extinction
progressive de l’encours actuel (1.4 Md€) dont nous rappelons qu’il couvre
encore le remboursement de la ligne B actuelle, la trajectoire de l’emprunt serait toutefois
celle de la reconstitution d’un stock de dette à hauteur du double de ce
montant en 2024, soit 2.8 Md€.
Outre que la soutenabilité de la
situation financière du SMTC fera peser un risque important pour ses collectivités
membres avant même la mise en service, la question de sa capacité à recourir à
de nouveaux emprunts pour d’autres investissements durant cette période est inévitablement
posée.
Dans la mesure où le contexte
financier du territoire réclame une échelle d’analyse consolidée – ce que ne
manquent pas de faire les organismes prêteurs - le cumul d’encours du syndicat
mixte à celui de ses collectivités membres dont la Métropole laisse augurer un
endettement territorial considérable.
Il n’est pas inutile de rappeler
que dès 2009, avec un encours de 1,3 Md€, engagement fut pris par la ville de
Toulouse et l’intercommunalité de programmer une hausse considérable de leur
contribution au syndicat. Elle progressa de 40 M€ à 100 M€/an entre 2008 et
2013 avec un soutien spécifique et récurrent de la ville de Toulouse à hauteur
de 15 M€ / an.
Au-delà de cet effort, un
engagement dû être pris par la communauté urbaine auprès de la Banque
Européenne d’Investissement de se porter caution, de s’engager sur un ratio de
solvabilité représentant 18 fois l’épargne brute du SMTC[9] et
plafonnant l’encours de dette, à horizon 2020, à hauteur de 1,8 Md€.
Après les efforts de redressement
engagés ces dernières années, il s’avère que le SMTC dispose aujourd’hui de la
capacité, sans augmenter la contribution de ses membres, de produire un volume
d’investissement de près de 1,8 Md€ à l’horizon du nouveau PDU. C’est donc
l’opération exclusive de la 3eme ligne de métro, qui conduit aujourd’hui à revisiter
les stratégies financières et à en préempter ainsi le périmètre de l’action
publique.
L’argument de l’étalement d’un PDU
à 3,8 Md€ sur un horizon 2030 ne saurait suffire à rassurer. Il est aussi être
de nature à inquiéter car il est bien celui d’un transfert du risque financier
et du doublement de l’annuité de dette sur la prochaine mandature 2020 - 2026.
Au regard des capacités d’épargne, c’est bien d’un nouveau risque fiscal de
pression accrue pour le contribuable et d’une contraction des possibilités
d’investissements sur les autres enjeux de politique publique métropolitaine
qu’il s’agit d’intégrer.
[1] sur un arc Blagnac, Colomiers, Plaisance, Tournefeuille, Faubourgs ouest
de Toulouse, Cugnaux, Portet
[2] p.74 du dossier du maître d’ouvrage
[3] Les validations métro connurent un bond de 48 Millions
de voyages accompagnés d’un recul de 10 millions sur le réseau bus. Ce qui
explique le chiffre de 38 millions de voyages.
[4] 70.000 jeunes sont bénéficiaires du tarif à 10 euros
pour 28 millions de déplacements. Environ le même nombre pour les demandeurs
d’emploi bénéficiaires de la gratuité avec 20 millions de déplacements.
[5] p.74 du dossier du maître
d’ouvrage
[6] La dépêche du midi du 29/07/2016,
http://www.ladepeche.fr/article/2016/07/29/2392799-projet-mobilites-2030-3e-ligne-metro-trou-397-millions.html
[7] Délibération du 28/06/2016
[8] La Dépêche du 07/09/216, http://www.ladepeche.fr/article/2016/09/07/2413754-metro-a-labege-le-combat-n-est-pas-termine.html
[9] Délibération du 16 décembre 2010 du SMTC
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