lundi 5 décembre 2016

Mon analyse du projet de métro TAE (2nde partie)



Le constat démographique
 
Les travaux de l’Agence d’Urbanisme de l’Agglomération Toulousaine ainsi que les enquêtes ménages offrent des indications utiles sur la mobilité dans l’agglomération. Ils confirment que l’essentiel de la progression des déplacements se situe naturellement en périphérie avec un fonctionnement en bassin qui se conforte d’année en année.
Les principaux flux sortants des bassins de mobilité relatés par les travaux de l’AUAT se situent au Nord et à l’Ouest de l’agglomération qui connait quant à elle des polarités plus nombreuses. Ces éléments ont été confirmés depuis 2004 et la dernière enquête ménage[1] de 2013. Ils sont attestés par ailleurs par les taux d’engorgement des réseaux viaires. Ils sont également reflétés par les contrats d’axes figurant au SCOT (plus de la moitié des contrats) et dessinant le maillage de corridors de déplacements et d’urbanisation.


Nonobstant les évolutions présentes et à venir au Nord de l’agglomération, rappelons utilement que c’est le secteur Ouest qui aura connu ces quinze dernières années la plus grande progression de population tout en ne bénéficiant d’aucune infrastructure de transport vraiment nouvelle et capacitaire.

-Evolution en dix ans du nombre d’habitants-
 
La 3eme ligne de métro se définit comme étant celle de l’emploi avec le souci de desservir les pôles générateurs. 


Je partage le souci d’un réseau efficace et étendu à la zone Nord-Ouest, dont Colomiers, fortement pourvoyeuse mais il serait utile de voir dressée la cartographie précise des déplacements domicile-travail et des enquêtes Origine / Destination des pôles concernés. Les salariés des pôles majeurs sont-ils concernés par l’ensemble du corridor prévu ? L’exigence d’efficacité des rabattements sur cette ligne structurante est-elle soutenable en termes d’offres nouvelles cumulées ?

Ces éléments apporteraient un éclairage utile sur les besoins de rabattement des bassins de mobilité sur cette 3eme ligne.

Source AUAT EMD 2013

Dans le même esprit, la pertinence du projet gagnerait en crédibilité s’il était accompagné des restructurations du réseau associées et des développements d’offre bus indispensables. 
A ce stade, compte tenu des contraintes posées sur la maîtrise des coûts d’exploitation et des expériences passées de mise en service des lignes A et B, cette perspective est loin d’être acquise.

Evolution des coûts d’exploitation : une approche comptable inquiétante pour la qualité de l’offre

Concernant les recettes attendues[2], sur la base de 50 millions de voyages par an, elles sont estimées par le maître d’ouvrage à 20.5 M€ (0.41€ par voyage). En réalité, ce raisonnement souffre malheureusement d’une carence notable. Il n’intègre pas les dizaines de milliers de voyageurs qui chaque jour prendront le métro suite à une correspondance. Un an après la mise en service de la ligne B en 2008, on constata 38 millions de voyages mais seulement 24,3 millions de déplacements supplémentaires[3]. L’effet d’induction conduit donc à relativiser fortement cette recette. En réalité, retenir la notion de déplacement s’avère donc plus sage pour mesurer le produit final. Sans doute doit-il être divisé par deux et conduire à une plus grande circonspection quant aux visions d’équilibre des coûts d’exploitation d’une ligne de métro prise isolément.

Concernant les recettes commerciales, c’est-à-dire la politique tarifaire, le SMTC s’est engagé sur une réforme dont l’objectif, selon les propos tenus lors du débat public du 13 septembre 2016, n’est pas celui d’une progression des recettes. Or, selon les projections dont nous disposons, leur évolution est bien l’une des variables importantes de l’équilibre financier futur. Il serait ainsi programmé un bond de 10 M€ de recettes nouvelles entre 2016 et 2018 sans rapport avec l’évolution de la fréquentation, soit 13 % de progression. L’inquiétude sur les tarifs, notamment le tarif jeune[4] et demandeurs d’emploi, nous apparait aujourd’hui justifiée quant aux motivations de leur remise en cause.
Si nous considérons cependant qu’un réforme tarifaire n’est pas illégitime en soi, la logique qui doit la présider n’est pas de remettre en cause des avantages tarifaires qui ont prouvé leur efficacité à travers la progression des abonnements de près de 70 % chez les jeunes lors de leur mise en œuvre. A contrario, nous avançons que tout recul sur le sujet conduirait inévitablement à des effets d’éviction dommageable pour l’attractivité du réseau. En revanche, la mise en œuvre d’une tarification solidaire, en fonction de la capacité contributive des usagers, demeure la piste d’une plus grande équité qui peut raisonnablement s’accompagner de mesures spécifiques sur critères d’âge ou de statut.

Concernant les coûts d’exploitation, après le numérateur des recettes, il convient de s’intéresser au dénominateur, c’est à dire les dépenses. Il est indiqué que les dépenses d’exploitation de la ligne sont « évaluées à ce stade entre 30 et 35 M€, soit le même ordre de grandeur que chacune des deux lignes existantes »[5]. Ainsi, le coût d’exploitation de 28 kms de métro serait le même que celui de la ligne B de 15,7 kms ? Qu’il soit permis de douter de la fiabilité du raisonnement. Il serait utile, à titre comparatif, que le maître d’ouvrage communique la décomposition des coûts des lignes de métro actuelles ainsi que ses intentions en matière de fréquence de rames et d’amplitude horaire futures. C’est un élément important, nous semble-t-il, du débat public.

Si on s’intéresse cette fois au coût d’exploitation global du réseau Tisseo, car il fait partie des variables de faisabilité du projet, il est indiqué la perspective d’une évolution nécessairement contenue au rythme de 2 % / an. Nous considérons inatteignable cette perspective sauf à mépriser les considérations qui suivent.
La première est relative à l’évolution moyenne constatée ces dernières années de l’ordre de + 5 à + 7%. Si nous pouvons admettre la nécessité de contenir ce rythme à un niveau plus raisonnable, il n’en demeure pas moins que ces évolutions moyennes sont pour l’essentiel liées à des coûts incompressibles.

Le rapport d’activité 2014 de l’exploitant est à ce titre éclairant. Sur l’exercice concerné, les dépenses ont augmenté de 5,8%. « Les 2/3 correspondent à des dépenses de personnel.(…) Plus précisément, 43 % de cette progression est liée à de la production d’offre kilométrique (+ de 1 million de kms) et 21 % à de la mise en service de projets structurants (Prolongation Tram aéroport et 3ème dépôt) ». Comment peut-il en être autrement demain si ce n’est à la marge, et ce d’autant plus que le projet mobilités prévoit une augmentation de réseau de surface à hauteur de 7.2 millions de Kms annuels ?!

Le transport est déficitaire par nature, la moindre création kilométrique sur le réseau de surface engendre mécaniquement du déficit d’exploitation. Nous sommes en présence d’un service public. D’où le souci de préserver une gestion directe. Même si l’efficience est à rechercher et qu’un effort est à fournir dans l’amélioration des ratios comparativement à d’autres réseaux, la démesure de l’objectif assigné interroge. 

J'en viens à la seconde raison d’inquiétude. L’ampleur de la maitrise des coûts d’exploitation risque fort d’aboutir à une dégradation de l’offre, à une limitation de son développement, à l’accroissement d’une sous-traitance de lignes qui est déjà passée de 14 à 19 % en deux ans, sans parler du risque social inhérent à ce qu’on nomme pudiquement, un « effort de rationalisation ».
 
Enfin, le risque de surestimation du ratio d’exploitation soulève aussi une autre interrogation. Elle est redoublée du fait de la longueur de la ligne envisagée (28 km) qui serait la plus longue de tous les réseaux et l’équivalent du linéaire actuel des lignes A et B réunies.  Cet état de fait renforce le caractère décroissant du rendement de ce type d’investissement (fréquentation / coût d’investissement). Le ratio se dégrade avec l’accroissement de la distance. Plus la distance est longue, plus le coût par voyage est mécaniquement important.

La fragilité du plan de financement : des incertitudes plus importantes qu’annoncées

Le SMTC indique que le plan de financement du projet est assuré à 90 %[6]. 397 M€ seraient encore à mobiliser au titre de participations de l’Etat, de l’Union européenne, d’autres collectivités. Nous considérons en réalité que le plan de financement est bien plus fragile qu’indiqué. 

La contribution du Conseil Départemental, de 200 M€, fixe sept conditions non réunies à ce jour dont le renforcement du niveau de desserte du réseau bus actuel, afin d'irriguer tous les territoires, des garanties quant à la mise en œuvre d'une politique tarifaire des transports accessible et sociale ainsi que « l'intégration au tracé  du prolongement de la ligne B du métro, de Ramonville à l'INPT; assurant l'interconnexion entre la nouvelle ligne de métro et la ligne B, et ce sans rupture de charge »[7]. S’il faut rappeler que le montant fléché sur la TAE s’élève à 167 M€, les conditions formulées par cette collectivité exigent une vision consolidée de l’ensemble du PDU.

Concernant la Région Occitanie, son soutien à l’intermodalité et au PDU, à hauteur de 150 M€, dépend également du traitement de la liaison Ramonville – Labège.

L’appel à une contribution spécifique des communes de Blagnac et Colomiers nous interpelle. Outre l’absence d’assise légale dans la mesure où ces communes, membres de la métropole, lui ont transféré la compétence, la commune de Colomiers a déjà indiqué son opposition à voir ainsi disloqué l’esprit communautaire de la métropole.

La contribution supplémentaire demandée aux intercommunalités membres du SMTC ne fait toujours pas l’objet, à ce stade, d’un accord ou d’une délibération manifestant leur engagement. Le SICOVAL a indiqué l’impossibilité de voir sa contribution passer de 1,5 à 15 M€, évoquant même un chiffre « sorti du chapeau »[8].
Quant à la Métropole, l’horizon dressé d’une contribution de 180 M€/an en 2024, soulève également interrogations de la part d’un certain nombre de maires qui verront culminer au même moment une véritable zone de risque sur l’endettement public local et sur les autres projets d’investissement.

Le besoin de financement externe ressort à environ 1 Milliard d’€ (hors branche aéroport) pour l’ensemble du PDU

Le besoin de financement s’élève à 913 M€ (843M€ - 110M€ (aéroport) + 180M€ de la solution métro) pour la seule opération TAE, soit 746 M€ en prenant en compte la contribution fléchée du Conseil Départemental de 167 M€ (18% du besoin de financement).

En supposant - ce qui ne sera vraisemblablement pas le cas - l’affectation totale de la participation de la Région Occitanie sur cette seule opération à hauteur de 150 M€, le besoin de financement s’élève à près de 600 M€.

Si l’on ajoute les incertitudes sur le pacte financier des collectivités membres du syndicat évoquées plus haut, le plan de financement révèle la fragilité d’une forme de fuite en avant.

Les aléas de l’équilibre financier 
Les prérequis de l’équilibre financier du projet sont soumis à plusieurs types de variables recensées de façon très optimiste.

Première variable : le Versement Transport. L’hypothèse retenue est celle d’une évolution moyenne de 2.5 % sur 20 ans qui repose sur des paramètres indépendants de la collectivité. Parfois hiératique, la progression de cette ressource n’est pas, en soi, dynamique. Une simple variation négative de 0.5 pt de cette moyenne priverait en effet de façon cumulative quelques centaines de millions d’euros que la collectivité devrait, au final, compenser.

Seconde variable : les coûts d’exploitation. Le sujet a été évoqué plus haut. Si la progression des coûts s’avérait de + 3 % au lieu de + 2 %, le besoin de financement supplémentaire s’élèverait en 2030 à hauteur de 62 M€.

Troisième variable : la contribution des collectivités. Outre qu’il est prévu qu’elle passe de 102M€ en 2016 à 185M€ entre 2025 et 2030, rien ne garantit à ce stade qu’elle ne devra pas compenser davantage encore le besoin de financement basé sur de mauvaises estimations. Bref, le levier fiscal nous apparait fort probable dès 2020 sachant que la collectivité à l’obligation d’équilibrer les comptes du syndicat mixte.

Stratégie d’endettement, une course soutenable ?

Concernant la dette, la soutenabilité de l’encours est soumise à d’importantes variables et, compte tenu des montants, à un risque important notamment lors des premières années de la mise en service de la ligne.

Certes basée sur une extinction progressive de l’encours actuel (1.4 Md€) dont nous rappelons qu’il couvre encore le remboursement de la ligne B actuelle,  la trajectoire de l’emprunt serait toutefois celle de la reconstitution d’un stock de dette à hauteur du double de ce montant en 2024, soit 2.8 Md€. 

Outre que la soutenabilité de la situation financière du SMTC fera peser un risque important pour ses collectivités membres avant même la mise en service, la question de sa capacité à recourir à de nouveaux emprunts pour d’autres investissements durant cette période est inévitablement posée.

Dans la mesure où le contexte financier du territoire réclame une échelle d’analyse consolidée – ce que ne manquent pas de faire les organismes prêteurs - le cumul d’encours du syndicat mixte à celui de ses collectivités membres dont la Métropole laisse augurer un endettement territorial considérable.

Il n’est pas inutile de rappeler que dès 2009, avec un encours de 1,3 Md€, engagement fut pris par la ville de Toulouse et l’intercommunalité de programmer une hausse considérable de leur contribution au syndicat. Elle progressa de 40 M€ à 100 M€/an entre 2008 et 2013 avec un soutien spécifique et récurrent de la ville de Toulouse à hauteur de 15 M€ / an.
Au-delà de cet effort, un engagement dû être pris par la communauté urbaine auprès de la Banque Européenne d’Investissement de se porter caution, de s’engager sur un ratio de solvabilité représentant 18 fois l’épargne brute du SMTC[9] et plafonnant l’encours de dette, à horizon 2020, à hauteur de 1,8 Md€.

Après les efforts de redressement engagés ces dernières années, il s’avère que le SMTC dispose aujourd’hui de la capacité, sans augmenter la contribution de ses membres, de produire un volume d’investissement de près de 1,8 Md€ à l’horizon du nouveau PDU. C’est donc l’opération exclusive de la 3eme ligne de métro, qui conduit aujourd’hui à revisiter les stratégies financières et à en préempter ainsi le périmètre de l’action publique. 

L’argument de l’étalement d’un PDU à 3,8 Md€ sur un horizon 2030 ne saurait suffire à rassurer. Il est aussi être de nature à inquiéter car il est bien celui d’un transfert du risque financier et du doublement de l’annuité de dette sur la prochaine mandature 2020 - 2026. Au regard des capacités d’épargne, c’est bien d’un nouveau risque fiscal de pression accrue pour le contribuable et d’une contraction des possibilités d’investissements sur les autres enjeux de politique publique métropolitaine qu’il s’agit d’intégrer.


[1] sur un arc Blagnac, Colomiers, Plaisance, Tournefeuille, Faubourgs ouest de Toulouse, Cugnaux, Portet
[2] p.74 du dossier du maître d’ouvrage
[3] Les validations métro connurent un bond de 48 Millions de voyages accompagnés d’un recul de 10 millions sur le réseau bus. Ce qui explique le chiffre de 38 millions de voyages.
[4] 70.000 jeunes sont bénéficiaires du tarif à 10 euros pour 28 millions de déplacements. Environ le même nombre pour les demandeurs d’emploi bénéficiaires de la gratuité avec 20 millions de déplacements.
[5] p.74 du dossier du maître d’ouvrage
[6] La dépêche du midi du 29/07/2016, http://www.ladepeche.fr/article/2016/07/29/2392799-projet-mobilites-2030-3e-ligne-metro-trou-397-millions.html
[7] Délibération du 28/06/2016
[8] La Dépêche du 07/09/216, http://www.ladepeche.fr/article/2016/09/07/2413754-metro-a-labege-le-combat-n-est-pas-termine.html
[9] Délibération du 16 décembre 2010 du SMTC

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