lundi 5 décembre 2016

Mon analyse du projet de métro TAE (1ère partie)


Un maillage territorial au plus près des besoins 

Le besoin d’améliorer les conditions de mobilité dans notre grande agglomération n’est plus à démontrer. Son réseau de transport urbain, l’un des plus vastes de France, est devenu au cours du précédent mandat le 3ème réseau national pour sa fréquentation. 

Aujourd’hui équipé de tous les types de transport (métro, tramway, bus, et bientôt téléporté) la particularité de notre grand territoire urbain reste cependant celui d’une densité de population inégalement répartie, densité dont le taux est inférieur à la moyenne des grandes métropoles. 

Cette morphologie urbaine, spécifique par bien des aspects, engendre naturellement des coûts sociaux et environnementaux alors même que les institutions publiques locales redoublent d’effort pour améliorer les conditions de compétitivité sociale et économique de leur territoire et de ceux qui y vivent. Cette situation a été prise en compte dans les divers documents d’orientation et de planification dont l’un des objectifs majeurs était notamment celui du phasage de l’urbanisation et des moyens de transports à travers notamment des "contrats d’axes", devenus "pactes urbains".

En matière d’infrastructure de desserte comme de coûts d’exploitation associés, il va sans dire que le besoin de maillage territorial au plus près des besoins relève dès lors dans ce contexte urbain d’une volonté politique de priorisation financière accompagnée de choix rationnels dans l’affectation de la dépense publique. 

La part modale de l’automobile, dans notre grande agglomération, connait encore aujourd’hui une place prépondérante et le rééquilibrage de l’espace public en faveur des autres modes aura été, durant la précédente mandature, l’un des objectifs majeurs du Plan de Déplacement Urbain adopté en 2012. Une vision équilibrée est donc bien celle d’un rééquilibrage et donc d’un objectif ambitieux de report modal en faveur du transport collectif et des modes doux.

Notre conception ne doit pas être celle de l’exclusion dogmatique de la voiture mais plutôt celle de l’attractivité renforcée des modes alternatifs quels qu’ils soient afin de renforcer tout simplement la liberté de nos concitoyens d’y avoir recours en tout point du territoire. Encore faut-il qu’ils existent, qu’ils soient de qualité et performants. La capillarité du système de transport, dans le cas particulier de Toulouse, nous semble donc essentielle.

PDU : quelle vision pour sa révision ?

La logique qui prévalu fut donc celle d’un réseau maillé (la toile) plutôt qu’un réseau de rabattement hiérarchisé sur des lignes capacitaires (l’étoile).

Le SCOT et le PDU 2012[1] ont fait le choix de ce réseau maillé en substitution au réseau de rabattement qui proposait, après analyse, des alternatives à la voiture insuffisantes en périphérie au vu des objectifs de part modale et de structuration du territoire. C’est donc le scénario le plus ambitieux pour les modes alternatifs à la voiture et la maîtrise de la circulation routière qui fut retenu.

Un Plan de Déplacement Urbain n’est pas un outil de programmation. C’est un outil de planification fixant des principes d’organisation. Il reflète donc un aménagement du territoire des transports et de la mobilité. Le choix proposé aujourd’hui est celui de la réaffirmation d’une logique de rabattement influencée par le schéma en croix que procure l’existence des deux lignes A et B[2] qui concentraient en 2012 près de 67 % des voyages sur le réseau et, avant 2008, l’essentiel de l’investissement. 

La question n’est pas de savoir si le val est plus performant qu’un bus ou tramway. Sortons du faux débat opposant par fétichisme déplacé les transports de surface et le métro.  Le val est naturellement plus efficient au voyageur transporté. Plus rapide et plus capacitaire, il suscite naturellement un indéniable attrait de la part de ses usagers. Mais, comme le reconnait par ailleurs le SMTC, l’efficacité d’un système de transport se mesure à la productivité globale de son réseau, de ses connexions, de sa couverture géographique.

Les ratios de coût d’exploitation, par exemple, peuvent être un élément déterminant dans le choix de telle ou telle infrastructure, et notamment du mode val. Ils ne disent rien en revanche, à l’échelle d’un réseau, de la particularité territoriale sur laquelle ils s’appliquent. Le transport collectif est bien une mission essentielle du service public qui est de viser l’équité territoriale en matière d’équipement et de connexion au réseau. C’est pourquoi je confirme que l’opportunité de chaque investissement doit savoir relever d’une vision plus globale de son utilité et de son efficacité dans le report modal pour diminuer la congestion. 

Sans doute est-il utile de rappeler que la construction d’un kilomètre de métro représente un montant d’investissement équivalent à la totalité du programme des 10 lignes LINEO. Le choix est donc entre la concentration sur un investissement de forte intensité ou la multiplication d’opérations connectées à forte couverture territoriale. Toute proportion gardée, et à l’instar des débats sur la grande vitesse ferroviaire, la conciliation des modes et des objectifs doit être poursuivie. 

L’idéal, naturellement, est donc de mener simultanément les deux ambitions. C’est la prétention avancée aujourd’hui par le SMTC. Faire l’un et l’autre.

Ne soyons pas hostiles par principe au mode métro et à l’opportunité d’une ligne nouvelle, mais doutons en revanche de la capacité de la collectivité à mener de front l’urgence du développement du réseau maillé à court terme selon les objectifs de report modal partagés en 2012 tout en obérant les capacités de son financement par un projet d’investissement lourd et à la mise en service plus lointaine.

Un projet Mobilités 2020-2030 polarisé sur celui d’une troisième ligne de métro

Si je partage le principe d’une révision du PDU et de son nouvel horizon temporel, le Projet Mobilités 2020-2030 opère une évolution notable par rapport au précédent PDU. Le débat sur la 3éme ligne ne peut donc porter exclusivement sur cette opération ou sur l’opportunité de tel ou tel tracé mais sur les conséquences structurelles de son insertion dans le réseau global.
 
Extrait du dossier de presse  « projet Mobilité 2025 – 2030

Je note avec satisfaction que des projets figurant dans le PDU 2012 sont maintenus et programmés à horizon 2020 dans le cadre de sa révision. Certains ont été amoindris dans leurs volumes financiers et capacitaires (BHNS), d’autres ont été supprimés (Tramway)
  • ·        Le téléphérique urbain (ex Aerotram), dont nous partageons l’idée d’une extension future
  • ·        Les lignes LINEO dont la livraison était prévu à raison de deux lignes par an . Ce programme relève davantage de l’amélioration de lignes existantes que d’une offre kilométrique nouvelle et significative de sites propres et dédiés, disparues du projet.
  • ·        La mise à 52 M des stations de la Ligne A du métro
  • ·        Les pôles d’échange et parcs relais dont le volume d’investissement a cependant été divisé par deux.
Le tableau qui suit indique la répartition des opérations d’investissement.
  

Le programme d’investissement tel que présenté dans le dossier du maitre d’ouvrage :
585 M€ = opérations nouvelles d’ici 2020, soit 15 % du total
2400 M€ = 3ème ligne et autres opérations d’ici 2030
 

585 M€[3] du volume financier du PDU correspond donc aux opérations évoquées ci-dessus et engagées d’ici 2020, soit 15 %. Le reste de l’investissement sera consommé entre 2020 et 2030 par la construction de la 3ème ligne[4] à l’exception de 173 M€ consacrés à du transport collectif, soit 4,5 % du total. 

Nous nous trouvons donc dans la situation charnière d’un achèvement partiel du PDU en vigueur et de la définition du nouveau PDU à horizon 2030, essentiellement concentré sur une ligne de métro.

Des hypothèses de fréquentation en question

Le PDU en vigueur fixait une estimation de 163 millions de déplacements en 2020. Cet objectif traduisait celui d’une part modale de 23 % en faveur des transports en commun contre 16 % en 2008. 

Or, la projection révisée par l’actuel projet mobilités 2020/2030 évoque plutôt 135 millions de déplacements en 2020 et fait donc reposer l’objectif de fréquentation sur la mise en service de la 3eme ligne, après 2024[5]. L’ambition est là mais plus lointaine et plus concentrée alors même que la pression démographique va se révéler plus soutenue et plus étalée que prévu. 

Les objectifs de part modale du transport collectif seront-ils satisfaits dès lors que leur atteinte repose moins sur l’efficacité et le développement de l’ensemble de l’organisation globale des déplacements que par une confiance trop grande dans le choix mode central. Comme l’indiqua le SMTC dans une réponse à la Commission d’Enquête Publique du PDU en juin 2012, « la demande de transport n’est pas orientée sur un seul corridor de déplacement »[6], à fortiori lorsque l’essentiel du tracé est dans Toulouse intra-muros.


Une croissance moyenne annuelle de + 5 % par an inscrite dans le PDU 2012 en vigueur et conforme aux objectifs assignés de report modal, correspondait, à horizon 2020, à une fréquentation de 163 millions de déplacements (contre 135 dans l’actuel projet mobilité) soit près de 230 millions de voyages. L’objectif fut donc 61 millions de voyages supplémentaires par rapport à 2015[7].


2015
Hypothèse 2020


PDU 2012
PDU révisé 2020-2030
Déplacements
121
163
135
Voyages
169
230
189

Si la croissance du réseau est essentiellement supportée par le métro et non plus le réseau de surface, la fréquentation estimée de 50 millions de voyages par an sur cette seule ligne à horizon de dix ans risque fort de s’avérer insuffisante dès sa mise en service.

Si le rythme de croissance de la fréquentation ne saurait diminuer après 2020 (+ 5 % par an) mais que le réseau de surface ralenti son développement pour réserver les capacités de financement au projet de métro qui verrait le jour en 2024, comment assurer la centaine de millions de voyages supplémentaires annuels avant de voir arriver la troisième ligne de métro. Le PDU proposé, dans son équilibre actuel autour de cette opération, n’a donc rien d’un plan d’urgence pour la mobilité mais révèle plutôt une révision d’objectif.

Reprenons l’hypothèse avancée de 200.000 voyageurs/jour qui correspondent à 50 millions de voyages/an. Outre que le doute reste présent sur cette modélisation[8], cela ne signifie pas 200.000 usagers supplémentaires. Cette ligne captera nécessairement des usagers existants ainsi que d’autres en correspondances car une politique de réseau obéit à des logiques de flux. 
Combien de déplacements nouveaux ? Le dossier de présentation évoque le sujet. Il reste toutefois peu loquace sur la baisse concomitante de fréquentation du réseau de surface et les effets de report. Il manque en tout état de cause de précision quant aux résultats des études de trafic[9]. Sans doute l’histoire de la mise en service des deux derniers projets métro (2003 pour le prolongement de la ligne A et 2007 pour l’ouverture de la ligne B) est-elle instructive. Le réseau bus évolua peu entre ces deux mises en service et fut même restructuré pour aboutir à une baisse de l’offre lors de la mise en service de la ligne B. 

Ces éléments sont cruciaux dans l’évaluation en cours et la distinction qu’il convient d’opérer entre les notions de voyage et de déplacement. Le taux de correspondance a son importance puisque l’hypothèse est aujourd’hui admise qu’un déplacement équivaut à 1,4 voyages (taux de correspondances).
Ce ratio signifie qu’aux 200.000 voyages/jour, soit 50 Millions/an, correspondraient en réalité à 143.000 déplacements supplémentaires / jour soit + 35 Millions de déplacements par an en 2024.
Voilà donc notre double interrogation :
  • ·        La croissance de fréquentation du réseau se faisant essentiellement par la 3eme ligne, les objectifs du PDU en la matière pourront-ils être atteints ?
  • ·        Les prévisions auraient-elles été ajustées en fonction de l’impossibilité pour la 3éme ligne de métro de répondre à l’évolution urgente et prévisible du besoin de déplacements ?
Les difficultés décrites ici expliquent peut-être la révision à la baisse des objectifs : Réduire de 20 % l’objectif du nombre de déplacements en transport en commun et de report modal pour mieux conjurer l’urgence.



[1] Il prévoyait près de 120 kms de sites propres nouveaux complétant les 57 km  existants. Ce développement était le plus important de France après Lyon 91 km, Lille 80 km, Strasbourg 67 km et Nantes 34 km. Près de 74 kms de nouvelles infrastructures se trouvaient projetées sur les communes périphériques.
[2] Pour mémoire, l’ouverture de la ligne B s’accompagna d’une baisse de l’offre dans les transports de surface. La rationalisation du réseau de bus, inhérente à l’ouverture d’une offre nouvelle métro, s’avéra contestée par nombre d’usagers.
[3] Hors dépenses patrimoniales, entretien et matériel roulant.
[4] La provision pour aléas, à hauteur de 7%, est en deçà de ce qu’exige ce type d’opération. Il serait plus prudent de la chiffrer au minimum à 10%, ce qui est d’ailleurs le cas pour l’opération d’extension à 52 M de stations de la ligne A.
[5] Nous doutons fort, à ce stade, que puisse être garantie une mise en service dès 2024 compte tenu à la fois des procédures et des aléas sur de tels investissements. La question du calendrier a son importance au vu de l’urgence sur les besoins de déplacements.
[6] « Mémoire de réponse à un courrier de la CEP du 2 mai 2012 » SMTC, juin 2012, p.26
[7] 1 déplacement = 1,4 voyages
[8] Cette estimation est restée la même depuis le lancement des premières études qui portait toutefois sur un tracé beaucoup plus court  (?!).
[9] p.54 du dossier du maître d’ouvrage

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