mardi 19 mai 2020

Second tour des municipales en juin, pour moi, c'est non

18 mars 2020, les sages ont statué. Le Conseil d’Etat a estimé que le report du second tour des élections municipales prévu le 22 mars 2020 est justifié par les circonstances exceptionnelles nées de la propagation du virus Covid-19 et que « le délai de report du second tour apparaît proportionné et justifie, à titre exceptionnel, de ne pas reprendre l’ensemble des opérations électorales là où l’élection n’a pas été acquise ». Le report est donc admissible s’il s’effectue dans un délai raisonnable. L’exercice de la démocratie doit se déconfiner en même temps que les salles de classe. 

Et si la question n’était pas celle-là ? Qu’il soit permis ici de douter de cet avis juridique, fut-il celui du Conseil d’Etat, qui n’a pas à ce jour l’autorité d’une chose jugée mais d’une appréciation d’opportunité.

19 mai 2020, le comité scientifique a également statué. Il ne s’oppose pas à l’organisation du second tour de scrutin… mais le suspendrait à une évaluation de la situation 15 jours avant. C’est-à-dire que les maires sortants demeureraient d’ici là en campagne «institutionnelle » de crise tandis que leurs concurrents n’auraient plus que 15 jours pour en faire de même.
Bref, nous sommes dotés de l’avis de juristes puis de médecins, le politique doit désormais parler.

Une élection est d’abord un processus, un enchainement ordonné, une suite continue d’opérations. Un processus déterminé par un code électoral fixant les règles démocratiques à réunir pour la désignation des édiles. On nous dit aujourd’hui que l’unité et l’intégrité de cette procédure, faite de la tenue d’un premier et d’un second tour de scrutin, n’est pas remise en cause par le délai d’interruption du processus entre ces deux moments. Le délai de deux mois ne serait pas dommageable. 

Qu’il soit permis de douter de cette approche segmentée, alors même que les conditions du second rendez-vous sont consécutives du premier, y compris sur le plan politique. Dans notre cas d’espèce, l’analyse de ce délai de « seulement » deux mois détourne le regard de l’essentiel. Celui d’une modification substantielle, en cours de route, des données de l’élection. 


Un scrutin municipal en juin serait un nouveau scrutin, une nouvelle campagne électorale, de nouveaux programmes frappant de caducité tous ceux qui furent élaborés six mois plus tôt.

Les conditions formelles de la tenue d’un second tour relèvent pour l’essentiel de l’arithmétique. Sélectionner deux (et parfois trois) finalistes, dégager une majorité. Mais elles relèvent aussi d’éléments substantiels, c’est à dire du politique. Veiller à ce que la confrontation démocratique du second tour obéisse aux mêmes conditions et au même contexte que celui du premier. Faute de quoi, c’est bien une forme de rupture d’égalité qui se trouve posée, sans parler de l’article 52 du code électoral et de la communication en période d’élection auquel il faudrait tordre le coup et sur lequel la justice administrative elle-même serait amenée à en préciser l’interprétation. Tout cela après avoir donné un avis favorable à l’installation de l’incertitude juridique et des recours potentiels.

J’ai conscience, en posant la question, de froisser quelques-un(e)s de mes ami(e)s.
J’entends bien les arguments développés, les intérêts en jeu et les motifs invoqués. Notamment ceux de maires sortants que l’on comprendra aisément. J’entends la nécessité de respecter les électeurs qui se sont déplacés au premier tour. Je décèle aussi le besoin de solder rapidement ce rendez-vous démocratique et d’en assurer la régularité. L’Etat d’urgence est sanitaire mais il ne saurait stopper indéfiniment l’exercice de la démocratie. Sauf qu’en l’occurrence, il s’agirait d’une campagne électorale au rabais et d’un scrutin qui ne le serait pas moins. L’exercice de la démocratie n’est pas qu’une formalité

L'élection devrait permettre, me dit-on, de relancer la commande publique. Sauf que je n’avais pas le sentiment que la dépense publique avait baissé dans la période. Rien n’empêche et n’a empêché les collectivités d’agir. La vraie question d’actualité est justement l’actualisation des promesses électorales de premier tour des grandes villes et intercommunalités dans leur capacité de lancer des investissements publics indispensables de demain. 

J’entends aussi l’hypothèse d'une seconde vague épidémique à l'automne qui justifierait que nos établissements publics puissent être définitivement installés et stabilisés afin d’être plus efficaces. Est-ce à dire que la stabilité de nos services publics est liée au renouvellement des gouvernements locaux ? C’est le confinement, et non le fait d’avoir installé ou renouvelé des équipes municipales, qui a rendu difficile l’exercice de certaines missions de service public.
Je ne discuterai pas d’un autre argument entendu, un peu court et trivial. La réouverture des écoles scellerait la possibilité de préparer les bureaux de vote…

Si ce que l’on dit de la crise sanitaire est vrai et qu’il y aura bien un avant et un après. S’il est exact que les conséquences pour les collectivités publiques et donc locales seront d’une ampleur bien supérieure à celles des crises connues depuis plus d’un demi-siècle, que c’est tout un modèle social, productif et de gouvernance qui s’en trouve interrogé, alors il faut prendre acte que ce qui est valable dans les discours du moment trouve cohérence dans la décision à prendre. 

Quelle crédibilité accorder aux promesses de rupture si l’on s’empresse de vite organiser un second tour comme si rien ne s’était passé. La démocratie n’est pas une formalité à remplir. Les compteurs doivent être remis à zéro sur la totalité du processus pour les communes soumises à un second tour. Ce n’est plus une affaire juridique. Ce n’est plus seulement une affaire sanitaire même si elle est essentielle. C’est aussi une question d’éthique démocratique.



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