lundi 6 juin 2011

Tramway Garonne : interrogations sur une suspension

Suite à un référé introduit devant le TA de Toulouse, l'ordonnance de suspension des travaux du tramway Garonne publiée par la juridiction soulève quelques premières remarques et questions non exhaustives que je livre ici.
Sur le plan juridique, quelles ont été les étapes de la délibération du SMTC faisant l’objet du référé ?
1ère étape : L'enquête publique émet un avis favorable motivé mais il est conditionné à des améliorations passant par la levée de trois réserves.
2nde étape : Le SMTC améliore le projet en conséquence et, par délibération, apporte des précisions complémentaires et lève les trois réserves.
3ème étape : Un recours est déposé contestant que le SMTC ait répondu notamment aux demandes de l’enquête publique.
4ème étape : Par son jugement, le juge des référés donne tort aux auteurs du recours en confirmant que ces réserves ont bien été levées et, formellement, l'avis favorable réputé reconnu. Mais dans ce même jugement, le Tribunal va plus loin et décide alors de réexaminer le travail de la commission d'enquête, de revisiter son rapport et d'en inverser les conclusions.

Dans ce contexte de "bilan contre bilan", celui de la juridiction va naturellement s'imposer à celui des commissaires. Il est donc demandé de suspendre des travaux qui n’ont pas commencé puisqu’il s’agit de ceux du tramway et qu’il convient de les distinguer, comme l’indique en termes clairs l’ordonnance du juge, des déviations de réseaux qui sont en cours.

En définitive, refaisant en quelque sorte le travail d'inventaire de la commission d'enquête, et dans la mesure où les réserves ont été levées, le juge administratif nous invite à regarder les inconvénients prétendus du projet que l’enquête publique avance dans son rapport. Autant de "petits cailloux" déposés dont la pertinence s’est avérée toutefois insuffisante puisqu'aux yeux compétents des commissaires enquêteurs, leur conclusion s'est révélée favorable au projet. 
Loin de moi l'idée de remettre en cause l'autorité de la chose jugée (bien qu'un pourvoi auprès du Conseil d'Etat va être formé), ni celle du juge administratif, ni celle du moyen juridique déployé à travers "la théorie du bilan". Mais qu'il soit permis toutefois de noter que le choix de ce degré de contrôle est bien affaire de politique jurisprudentielle et donc affaire d'opportunité contre un projet qui, je le rappelle, ne procédait à aucune expropriation de bien privé. Or, le degré de contrôle exercé sur cette opération ne relève-t-il pas, habituellement, de l'arsenal utilisé justement en cas d'expropriation mettant en balance l'utilité publique des projets eu égard aux atteintes à la propriété privée ? En la matière, l’intérêt lésé par ce projet et mentionné par l’ordonnance est celui du requérant dont l’aire de stationnement sur domaine public allait être impactée et accompagnée d’une modification de voie. Telle est manifestement « l’atteinte suffisamment grave et immédiate » à un intérêt privé qui justifie le considérant du juge en la matière.
Je ne connais pas d’intérêts particuliers de cette nature, dont chacun notera « la gravité », qui ne soit pas inhérent à tout projet de transport en commun en site propre (y compris pour des bus) et dont le strict respect conduirait de fait à l’impossibilité d’agir et d’aménager tout simplement la ville.

Sur les arguments de fond 
Ce projet n’est pas celui d’une ligne nouvelle de tramway mais d’un prolongement de l’actuelle ligne T1. Comme c’est d’ailleurs le cas dans d’autres villes comme Bordeaux pour une longueur identique. Ce n’est pas un équipement de quartier mais d’agglomération. Au final, il s'agit bien d'une ligne de plus de 14 km.
  • Ce projet se mesure à l’importance d’interconnecter le réseau et notamment de poursuivre dans cet esprit vers une connexion future avec la ligne Canal qui partira d’une part vers le Sud-est et d’autre part vers la gare LGV de Matabiau et l’aéroport avec une traversée de la Garonne. Pensons-nous que le réseau structurant actuel du seul métro suffira à absorber les 14 millions de voyageurs supplémentaires prévus par la SNCF ?
  • Il se mesure à la possibilité qui serait offerte dès 2014 de relier en tramway l’aéroport ainsi que le futur parc des expositions, depuis le centre ville, avec cette double connexion au réseau du métro.
  • Il se mesure à l’aune des 7000 logements qui vont être livrés avec la ZAC de la Cartoucherie et la ZAC Andromède. C’est la densité de demain qu’il convient aussi d’anticiper.
  • Il se mesure à la perspective du prochain Quartier des Sciences des allées Jules Guesde avec ces milliers de m2 aménagés, qui va accueillir un public important et une esplanade rendue aux piétons et aux modes doux.
  • Il se mesure à l’importance de partager l’espace public entre la voiture et les autres modes en général. Ne pas partager cet espace aujourd’hui, c’est se condamner à ne plus pouvoir se déplacer du tout avec une progression prévisible de 15 % du trafic automobile.
  • Il se mesure à sa complémentarité à l’offre métro, et non à sa redondance, en permettant de diluer en partie la saturation de la fréquentation.
  • Il se mesure à un coût d’exploitation beaucoup plus faible que celui d’alternatives bus confrontées à la congestion prévisible de circulation.
Qu’on le veuille ou non, on touche à travers cette décision juridique une question politique. A ceux qui s’étonneraient que le Maire de Toulouse politise l’enjeu, je veux dire simplement qu’ils révèlent leur piètre conception de la politique. Pour nous, dès lors qu’il s’agit de mesurer la nature et le contenu de l’intérêt public, dès lors que les acteurs institutionnels – qu’ils soient juridiques ou politiques – se retrouvent mêlés ensemble à une définition concurrente de l’intérêt général, c’est une affaire politique dans son sens le plus noble.

Dès lors que le contrôle du juge s’éloigne des éléments de légalité externe, formelle et procédurale et qu’il s’attache à un contrôle substantiel renforcé, il pénètre de fait le champ du politique. De ce point de vue, « que le juge n’ait pas à dire quel est l’intérêt général mais s’il y a intérêt général » ne change rien à l’affaire. Pour moi, elle la confirme. Il devient partie prenante de ce débat public et ne souffrira donc pas que puisse être discutés les attendus de ces décisions. Qu’elles reflètent étonnamment les propos de l’opposition municipale est un constat. Il ne fait pas injure à notre Etat de Droit et relève de l'exercice même de la démocratie qu'il protège.
Le combat demeure. Il est à mener contre une façon de penser qui est justement à l’origine des problèmes de notre agglomération et qui puise son fondement dans l’absence de vision d’avenir et le conservatisme de nos prédécesseurs.

Quel que soit le délai de la procédure, nous avons pris la décision d’un pourvoi en cassation auprès du Conseil d’Etat qui est le juge de l’appel en la circonstance. Dans cette attente, la priorité au transport public va demeurer. La fréquentation de notre réseau va continuer sa progression. La qualité du service va poursuivre son amélioration. La cohérence entre les règles d’urbanisme et de transport va se renforcer. La couverture territoriale sera celle d’une ambition métropolitaine.  

Cette affaire, en définitive, peut aussi aider à intensifier le débat public et accélérer globalement le lancement des projets en cours. Elle doit offrir aussi le moment que soit clairement identifiée, par la même occasion, la responsabilité des conservatismes qui en freinent la mise en œuvre. Ce qui gêne le plus, en définitive, c’est peut-être bien que Toulouse se réveille.

3 commentaires:

  1. L'enquête publique était accablante. De très nombreux points soulevaient des sujets majeurs (déficit,variantes non explorées,alternatives négligées,impact sur le stationnement etc...)Il suffit de lire le rapport.Le TA n'a fait que réhabiliter le travail des commissaires.
    http://cassouletland.over-blog.com/article-tramway-la-cuisine-indigeste-des-commissaires-enqueteurs-68755926.html

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  2. Pourquoi le rapport de l'enquête publique a-t-il été "favorable" ? C'est toute la question et la vraie ! Y aurait-il eu une pression exercée alors que le contenu du document montre bien que ce projet est une aberration ?
    Pourquoi ces menaces déguisées ?
    Les travaux du tram vont-ils se poursuivre malgré la décision du TA ? Les travaux du tram n'ont soit disant pas commencés : ce n'est pas vrai !!
    Les réserves ont soit disant été levées : ce n'est pas vrai !!
    On pensait que le tram devait s'arrêter au Canal et qu'à partir de là, il s'agissait de bus à haute densité ; donc les 14 kms de tram : c'est du pipeau !!
    "Il se mesure à la perspective du prochain Quartier des Sciences des allées Jules Guesde avec ces milliers de m2 aménagés, qui va accueillir un public important et une esplanade rendue aux piétons et aux modes doux." : A qui servirait le tram ? Aux promeneurs ou aux travailleurs ? Y a-t-il beaucoup de personnes qui vont travailler en centre ville ? N'y en a-t-il pas davantage qui se rendent dans les ZI ? Là, le métro vers Labège est une solution indispensable, que vous le vouliez ou non !
    En fait de politique noble, vous vous posez un peu là !! Vous êtes parfaitement ridicule et de très mauvaise foi !

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  3. Joël Carreiras13 juin 2011 à 19:00

    Précisons les choses...
    à Marius : Le juge a tout à fait le droit de recourir à ce que l'on appelle en contentieux administratif "la théorie du bilan" qui met en équilibre avantages et inconvénients. Il va en chercher les éléments dans le rapport du commissaire enquêteur. Or, ce dernier se termine toutefois après le même examen par un avis favorable. C'est un fait. J'invite Marius à consulter la jurisprudence et les distinctions à faire entre les notions "d'utilité publique" et "d'intérêt général" qui fonde mon appréciation juridique du contrôle exercé.
    Pour notre internaute anonyme : 1/L'argument d'une soi-disant pression sur les commissaires enquêteurs se trouve contredite par l'idée que le contenu du rapport démontrerait l'aberration du projet. La pression devait être bien légère. 2/ Les travaux en cours concernent les déviations et rénovations de réseaux pas ceux du tramway en tant que tel. Ce que confirme le juge. Il confirme aussi d'ailleurs la levée des réserves. Il faut lire l'ordonnance. 3/ Les 14 km de tram concernent la ligne T1 actuelle qui en fait 11 auxquels il faut ajouter ceux du projet. 4/ Dans le même esprit, je confirme ce que j'indique dans mon post sur la qualité de desserte de l'ensemble de la ligne une fois qu'elle sera en exploitation commerciale. Elle n'est pas faite exclusivement pour un quartier. Je conclue donc en confirmant mon sentiment. Il y a, me semble-t-il, une erreur manifeste d'appréciation.

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